1.2.3.3. La géomorphologie en France.

Avant que ne s’impose l’influence fondamentale d’Emmanuel de Martonne, une tradition géomorphologique solide existait déjà en France. Le géologue Emmanuel de Margerie et le topographe Gaston-Ovide de la Noë avaient rédigé dès 1888 un ouvrage sur Les Formes du terrain 486, qui fut rapidement épuisé après sa publication et devint un classique de la géographie physique. Plus tard, en 1896, Albert de Lapparent avait introduit en Europe les premiers travaux de Davis dans ses Leçons de géographie physique 487. La géomorphologie cyclique de Davis connut un succès rapide et important en France, qu’expliquent son aspect universel, la préférence américaine face aux géographes allemands, mais aussi l’influence de Baulig, qui fut disciple de Vidal, puis de Davis à Harvard entre 1904 et 1911488. Vidal avait d’ailleurs toujours insisté sur la structure géomorphologique comme explication des variations régionales de la géographie française.

Cependant, Emmanuel de Martonne reste la figure centrale de la géomorphologie française. Disposant d’une solide formation littéraire et scientifique – il avait obtenu un doctorat en lettres à vingt-neuf ans et en sciences à trente-quatre ans –, il succéda à Vidal de la Blache à la Sorbonne en 1909 et publia la même année son célèbre Traité de géographie physique qui connut neuf éditions jusqu’en 1951489. Sous son influence, les recherches se focalisèrent sur des régions structurellement définies, notamment dans les Alpes : l’Oisans (Allix, 1929), le Vercors (Allix, 1941), la Maurienne et la Tarentaise (Onde, 1938), la Haute Durance et l’Ubaye (Péguy, 1947), la Moyenne Durance (Veyret, 1941). Une controverse autour de l’érosion glaciaire opposa durablement de Martonne et ses disciplines à l’école grenobloise menée par Raoul Blanchard, fondateur de l’Institut de géographie alpine et de la Revue de géographie alpine, qui mit en œuvre « de la façon la plus minutieuse et la plus globale »490 les méthodes de la géographie régionale. Mais Bernard Debarbieux souligne qu’au-delà des conceptions scientifiques, cette controverse se fondait sur une opposition institutionnelle entre Paris et la province, et qu’à travers son entreprise de création d’une géographie alpine spécifique, Raoul Blanchard cherchait surtout à se créer un domaine de compétence et à réaliser une unité alpine qui servait une idéologie politique491.

Notes
486.

NOË Gaston-Ovide (de la), MARGERIE Emmanuel (de). Les Formes du terrain. Paris : Imprimerie nationale, 1888, 2 vol.

487.

LAPPARENT Albert (de). Leçons de géographie physique. Paris : Masson, 1896, 590 p.

488.

DUFAURE Jean-Jacques, DUMAS Bernard. Geomorphology in France. In The Evolution of geomorphology, op. cit., p. 157-158.

489.

MARTONNE Emmanuel (de). Traité de géographie physique. 1ère éd. (1909). Op. cit.

490.

LACOSTE Yves. Je t’aime, moi non plus. L’Alpe, 2000, 7, p. 8.

491.

DEBARBIEUX Bernard. La nomination des espaces géographiques dans les Alpes entre 1880 et 1930. In CLAVAL Paul dir. Autour de Vidal de la Blache. La formation de l’Ecole française de géographie. Paris : CNRS Edition, 1993, p. 109-122.