1.3.1. Les origines du tourisme de montagne.

1.3.1.1. L’embryon d’un intérêt touristique.

Dans le mouvement de découverte de la montagne du 18e siècle, les activités scientifiques, littéraires ou artistiques ne se différenciaient pas forcément de celles plus physiques des excursions en moyenne montagne ou des premières ascensions. La figure du savant qui s’imposa au siècle des Lumières était celle d’un honnête homme travaillant à augmenter la connaissance universelle et effectuant lui-même ses observations et la récolte d’échantillons sur le terrain, ce qui explique l’importance de la littérature de voyage dans le domaine scientifique lui-même. Si les Pyrénées furent longtemps délaissées par les savants jusqu’à ce que les botanistes et les minéralogistes aient montré leur intérêt scientifique, les Alpes connurent dès la deuxième moitié du 18e siècle un certain engouement de la part des hommes de science. Les premiers visiteurs de la vallée de Chamonix à s’aventurer dans des zones plus élevées furent des savants. Dès 1754, le physicien Jean-André Deluc commença une série d’excursions dans le cadre d’étude sur la pression atmosphérique501. En parvenant au sommet du Brévent lors d’une visite des glacières de Chamonix en 1760, Saussure eut ce qu’il appela dans ses Voyages la « révélation » du Mont Blanc : pour des raisons en partie scientifiques, il décida alors de parvenir à tout prix au sommet.

Mais les savants faisaient encore figure d’exception. Parcourir les régions montagneuses pour le seul plaisir ne se concevait pas encore et les premiers visiteurs se contentaient d’admirer les montagnes de loin. En particulier, les élites anglaises accomplissaient un traditionnel tour de l’Europe dans lequel furent rapidement intégrées les Alpes et les Pyrénées, observées depuis les rives du lac Léman à Genève ou le boulevard des Pyrénées à Pau, promenades aristocratiques offrant un panorama large et sans danger sur les monts acérés et enneigés. Le nom tour constitua d’ailleurs la racine lexicale des termes tourism et tourist, utilisés en anglais dès 1811 puis à partir de 1841 dans leurs déclinaisons françaises. Jusqu’aux années 1770, la découverte « touristique » des montagnes se limita aux vallées et à la moyenne montagne. Dans les Alpes, la seule région visitée restait la vallée de Chamonix, dont la fréquentation est bien connue. Après les premiers voyages de Windham et de Martel, les visiteurs avérés restèrent rares : le marquis de Maugiron en 1750, le physicien Leduc en 1754, puis les deux grands artisans du succès « touristique » de la région, mais aussi des Alpes en général, Marc-Théodore Bourrit et Horace-Bénédict de Saussure.

Bourrit décida vers 1757 de se consacrer aux courses en montagne et à leur description, à partir d’un chalet qu’il possédait à Chamonix. Il fournissait des itinéraires aux voyageurs, servit de guide à partir de 1773 et publia des ouvrages en petit format qui furent en quelque sorte les premiers « guides » à usage touristique. Leurs descriptions poétiques des montagnes jouèrent un grand rôle dans la popularisation des Alpes, notamment le plus célèbre d’entre eux : la Description des aspects du Mont Blanc (1776). Quant à Saussure, il popularisa le Mont Blanc par ses écrits et sa volonté tenace d’en attendre le sommet. Sur leurs exemples, de plus nombreux voyageurs firent le voyage depuis Genève jusqu’à la vallée de Chamonix pour admirer de près les « glacières de Savoie », parmi lesquels le duc de la Rochefoucauld en 1762. Des auberges commencèrent même à s’installer dans la vallée pour accueillir ces nouveaux visiteurs. Mais ce ne fut qu’après les grandes premières dans les Alpes et les Pyrénées que se développa un engouement « touristique » durable pour les régions montagneuses à la fin du 18e siècle.

Notes
501.

Le naturaliste et physicien genevois Jean-André Leduc (1727-1817) étudia les variations de pression en fonction de l’altitude. A partir de 1754, il exécuta de nombreuses excursions dans les Alpes, accompagné de son frère Guillaume-Antoine et transportant un baromètre portatif de sa construction. Il relata certaines de ses excursions dans sa Relation d’un voyage aux montagnes de Sixt en Faucigny, fait en août 1765, parue en annexe de ses Recherches sur les modifications de l’atmosphère (1772).