1.3.1.2. Les grandes premières alpines.

La première ascension d’un sommet glaciaire réussie en 1770 au Buet (3 094 mètres) par les frères Deluc marque traditionnellement le début de la période de conquête de la haute montagne. Elle est attestée au cours du dernier quart du 18e siècle par une série de grandes premières dans les Alpes et dans les Pyrénées, dont le but n’était plus seulement scientifique. Cette exploration restait marginale, au point qu’elle ne fut définie par un vocabulaire propre que dans la deuxième moitié du 19e siècle : excursionniste en 1852, ascensionniste en 1872, alpiniste et pyrénéiste dans le sens d’amateurs de course dans ces deux chaînes de montagnes en 1890502 ; mais elle fut le moteur d’un intérêt croissant pour la haute montagne.

Dans les Alpes, Marc-Théodore Bourrit mena ce qu’on pourrait presque qualifier de « carrière d’excursionniste ». Il fut surtout un grand découvreur de glaciers, que, dans la tradition de Grüner, il imaginait communiquant entre eux par un vaste glacier longitudinal s’étendant du Simplon à la Savoie. Dès 1760, Saussure avait promis une récompense à ceux qui trouveraient une voie d’ascension possible pour le Mont Blanc, mais les volontaires furent peu nombreux au début, la peur que provoquait la montagne restant vivace. Ce ne fut qu’en 1775 que l’une des premières tentatives sérieuses atteignit les Grands Mulets, le Petit Plateau puis le bord du Grand Plateau, mais rebroussa chemin en apercevant la cime encore lointaine se couvrir de nuages. La même année, une évaluation de l’altitude donnait 2 451 toises, soit 4 779 mètres, permettant d’affirmer qu’il s’agissait bien du plus haut sommet d’Europe et asseyant un peu plus la popularité croissante de la région.

Entre 1783 et 1785, Bourrit et le médecin chamoniard Michel-Gabriel Paccard (1757-1827) organisèrent activement de nouvelles expéditions de reconnaissance. Deux guides atteignirent le dôme du Goûter le 16 septembre 1784, à deux heures du sommet, mais la saison trop avancée empêcha Saussure de risquer l’ascension immédiatement. Sa tentative du 12 septembre 1785 avec Bourrit et quinze autres personnes échoua, et la première du Mont Blanc fut finalement réussie les 7 et 8 août 1786 par Paccard accompagné du cristallier Jacques Balmat (1762-1834), suivie par télescope depuis Chamonix. Saussure parvint finalement au sommet en août 1787 (sans Bourrit qui ne gravit jamais le Mont Blanc), et son exploit éclipsa complètement la première de Paccard et Balmat. Sa carrière d’« alpiniste » avant l’heure culmina avec l’ascension du mont Rose en 1792 et mit définitivement à la mode la région de Chamonix.

Dans les Pyrénées, la figure centrale de la découverte de la chaîne fut Ramond, qui consacra vingt ans de sa vie à effectuer de nombreuses ascensions, par plaisir plus que par nécessité scientifique. Il gravit trente-cinq fois le pic du Midi de Bigorre entre 1787 et 1810, et consacra surtout ses efforts à l’ascension du Mont-Perdu qui était pour lui la clé de la chaîne et qu’il conquit finalement en 1802 après sa découverte au fond du cirque d’Estaubé de la fameuse « échelle de glace » de Tuquerouye en 1797, clôturant ainsi la période héroïque de l’exploration des Pyrénées. A sa suite, un petit groupe d’admirateurs fervents multiplièrent les ascensions et contribuèrent à une meilleure connaissance et représentation du relief pyrénéen, parmi lesquels Charles Packe, le comte Henri Russel et Franz Schrader503.

Notes
502.

Trésor de la Langue Français informatisé. Op. cit.

503.

Voir infra, partie 2, chapitre 2.2.