1.3.2.2. Les « précurseurs » et la préférence alpine.

Pour les précurseurs, les auteurs redoublaient souvent d’érudition pour mettre en avant les plus lointains ancêtres des alpinistes, jusqu’à Pétrarque gravissant le mont Pelvoux en 1336 ou Antoine de Ville le mont Aiguille en 1492 (la date était commode). Suivaient généralement les grands noms de la découverte des montagnes au 18e siècle, en particulier ceux des conquérants du Mont Blanc, Michel Paccard, Jacques Balmat et l’illustre Saussure à l’origine de l’entreprise, avec parfois une mention pour son « équivalent » pyrénéiste, le baron Ramond.

Les Pyrénées font d’ailleurs souvent figure de parents pauvres d’une historiographie qui par ses partis pris illustre comment le terme d’« alpinisme » s’est imposé pour désigner une pratique dont les origines se trouvent pourtant autant dans les Pyrénées que dans les Alpes. Alors que l’astronome François de Plantade utilisait dès le début du 18e siècle le pic du Midi de Bigorre (2 877 mètres) comme observatoire514 et que Ramond participa à une première période de conquêtes des sommets de la chaîne avec sa victoire au Mont-Perdu en 1802, l’ascension du Mont-Blanc éclipsa toutes les autres par son côté symbolique, remarquablement exploité par Bourrit ou Saussure. Dans son histoire relativement classique, Bonington ignore à un tel point les Pyrénées qu’il précise dès l’introduction qu’il retrace l’histoire de l’alpinisme « depuis sa naissance dans les Alpes jusqu’à l’ascension des géants de l’Himalaya »515, et que la chronologie proposée en annexe516 cite par exemple l’ascension de l’Etna par l’empereur Hadrien en 126, mais ignore celle du Mont-Perdu par Ramond en 1802517.

Ainsi, bien que les précurseurs d’un véritable ascensionnisme se trouvent dans les Pyrénées – même les exploits longtemps méconnus des officiers géodésiens commencèrent dans les montagnes du sud-ouest de la France –, les noms les plus souvent cités dans les histoires de l’alpinisme pour la période de « l’après Mont Blanc » concernent encore les Alpes : le père Placidus dans les Grisons entre 1782 et 1806, qui gravit en autres le Rheinwaldhorn (3 402 mètres) en 1789518 ; l’abbé Horrasch gravissant le Grossglockner (3 798 mètres) en 1800 ; les frères Johann Rudolf et Hieronymys Mayer atteignant en 1811 le sommet de la Jungfrau (4 158 mètres) ; ou encore le capitaine Durand dont on reconnut tardivement la première au Grand Pelvoux (3 946 mètres) en 1828. En 1821, la création de la Compagnie des guides de Chamonix, à une époque ou l’ascensionnisme ne se concevait pas – et pour longtemps encore – autrement qu’avec guides et porteurs, assurait non seulement le succès touristique de la vallée, mais aussi le mythe d’une primauté alpine qui aboutit au début du 20e siècle à l’adoption définitive du terme d’« alpinisme » pour désigner l’ascensionnisme dans n’importe quelle chaîne de hautes montagnes.

Notes
514.

Il mourut d’ailleurs lors de sa descente en 1741.

515.

BONINGTON Chris. Deux siècles d’histoire de l’alpinisme. Op. cit., p. 15.

516.

Chronologie compilée par Audrey Salked.

517.

BONINGTON Chris. Deux siècles d’histoire de l’alpinisme. Op. cit., p. 269.

518.

MESTRE Michel. Histoire de l’alpinisme. Op. cit., p. 18.