1.3.3.2. Le Club alpin français : une société savante plus qu’une association sportive.

En France, la constitution du Club alpin français était pratiquement réalisée en 1870 par ses deux futurs premiers présidents, Adolphe Joanne, rédacteur et éditeur des célèbres guides Joanne, et Ernest de Billy, ingénieur en chef des mines. Mais, arrêté par la guerre, le projet ne fut concrétisé qu’en 1874 grâce à l’action d’Abel Lemercier, fonctionnaire de l’enregistrement et futur conservateur des hypothèques de Paris535. Les douze fondateurs formèrent la direction centrale, et le club comptait à sa création cent trente-huit membres.

Bien que concurrencé au niveau local par des associations comme la Société des touristes du Dauphiné (1875), la Société des alpinistes dauphinois (1892) ou le Rocher club (1895), le Club alpin français s’imposa au niveau national avec l’ambition de s’implanter sur tout le territoire. Il devint rapidement « le représentant des intérêts des alpinistes vis-à-vis de l’administration et l’interlocuteur incontournable pour toutes les questions qui [concernaient] la montagne ». Il disposait donc « d’une autorité morale indéniable qu’il [étendait] sur l’ensemble de l’univers des alpinistes où il [occupait] une position dominante. Ses conceptions de la bonne manière de réaliser les ascensions [s’imposaient] à la plupart des pratiquants »536.

Dès sa fondation, le CAF était très nettement orienté vers l’excursionnisme cultivé, comme en témoigne l’article premier des statuts définissant l’objet du club :

‘« Le Club Alpin Français sert de lien entre toutes les personnes que leurs goûts ou leurs études attirent vers les montagnes. Il a pour but de faciliter et de propager la connaissance exacte des montagnes de la France et des pays limitrophes :
- par des excursions soit isolées, soit faites en commun ;
- par la publication de travaux scientifiques, littéraires et artistiques, et de renseignements propres à diriger les touristes ;
- par la construction et l’amélioration de refuges et de sentiers ;
- par des encouragements aux compagnies de guides ;
- par des réunions ou conférences périodiques ;
- par la création de bibliothèques et de collections spéciales. »537

L’Etat le classait d’ailleurs parmi les sociétés savantes, son activité scientifique étant pendant longtemps aussi importante que ses activités de construction de refuges et d’animation de caravanes scolaires. Les liens étroits qu’il entretenait avec la Société de géographie confirmait cette orientation : sept de ses douze fondateurs du CAF étaient membres de la société, et celle-ci accueillit les premières assemblées générales et certaines des conférences que le CAF organisait. Le contenu de l’Annuaire du Club Alpin Français, revue officielle du club, était particulièrement révélateur : d’après le décompte effectué par Dominique Lejeune, entre 1874 et 1903 (date à laquelle l’Annuaire fut remplacé par la Montagne), 18 à 20 % des articles étaient consacrés à la science, à la littérature ou aux arts, le reste étant constitué principalement de récits de courses et d’excursions538. Jusque dans les années trente, le CAF comprenait plusieurs commissions scientifiques dans son organisation central. Les rapports annuels soulignaient régulièrement les apports des alpinistes à la science, essentiellement dus – comme les rapports le rappelaient eux-mêmes – à la qualité des adhérents du club, parmi lesquels se comptait un nombre important de savants et de spécialistes de diverses disciplines scientifiques.

Notes
535.

Ibid., p. 9.

536.

Ibid., p. 11.

537.

Annuaire du Club Alpin Français, 1874, 1, p. 1.

538.

LEJEUNE Dominique. Les Alpinistes en France. Op. cit.