1.3.3.3. Recrutement et conceptions de l’alpinisme au Club alpin français.

L’étude d’Olivier Hoibian montre que le Club alpin français, bien que d’un recrutement moins aristocratique et plus hétérogène que l’Alpine club, connut à ses débuts une très large sous-représentation de la classe ouvrière et une sur-représentation marquée des professions intellectuelles. La constitution de sa direction centrale était encore plus illustrative : en 1875, elle ne comptait par exemple que des Parisiens, quatre polytechniciens, cinq membres des professions libérales, trois fonctionnaires des ministères, deux savants et deux de professions inconnues539. La mainmise de la bourgeoisie cultivée sur les organes dirigeants, un système d’adhésion reposant sur la cooptation par deux membres ordinaires ou donateurs et sur présentation au président de section, une cotisation assez élevée, positionnèrent le Club alpin français entre les cercles aristocratiques purement mondains comme le Jockey club et les associations sportives plus populaires.

Mais l’apparente homogénéité de la conception de l’alpinisme au sein du Club alpin français procédait en fait de la domination institutionnelle de la section parisienne, sur-représentée dans les organes de direction au point que la direction centrale du club était souvent la même que celle de la section de la capitale. Hoibian montre qu’au contraire, la pratique de l’alpinisme en France était marquée par une pluralité des conceptions, perceptible dès la fin des années 1870 dans les publications des sections de province. A la conception traditionnelle et officielle de l’excursionnisme cultivé imposée par la direction parisienne s’opposaient une tendance plus sportive et aventurière, soutenue en France par les partisans de l’alpinisme sans guide comme les frères André et Pierre Puisieux, puis au sein du « groupe des rochassiers » prônant l’élitisme technique, et une approche plus provinciale et familiale d’un alpinisme sans prétention ni scientifique, ni sportive.

Dans les premières années du 20e siècle, le CAF fut d’ailleurs agité par une contestation institutionnelle particulièrement vive. Les sections de province critiquaient la mainmise de la section parisienne sur les organes de direction alors même que son poids en membres devenait minoritaire540. Si en 1913 la révision des statuts accorda finalement la représentation proportionnelle plus importante que demandaient les sections provinciales, elle ne supprima pas les tensions entre une direction centrale vieillissante, attachée au modèle de l’excursionnisme cultivé, et des membres de plus en plus intéressés par la seule découverte sportive ou touristique de la montagne.

Notes
539.

HOIBIAN Olivier. Les Alpinistes en France. Op. cit., p. 22.

540.

Ibid., p. 59-68.