1.3.3.4. La domination tardive de l’excursionnisme cultivé au CAF.

Le Club alpin français occupait à la fin du 19e siècle une position originale en Europe. Si tous les clubs alpins avaient défendu depuis leur création la découverte scientifique de la montagne comme un préalable et le moteur principal de l’exploration des régions montagneuses, ils s’étaient tous orientés assez rapidement, à la suite de l’Alpine club, vers une pratique de l’alpinisme plus aventurière, plus sportive, chez certains même plus ludique (Mummery). Le CAF restait le plus ardent défenseur de l’excursionnisme cultivé, dans un contexte politique marqué par la défaite de la France en 1870 et par l’une de ses interprétations les plus courantes comme une défaite de la science française face à la science allemande.

Cette position originale se retrouvait dans un projet éducatif ancré dans la notion de dégénérescence de la race française que la défaite de 1870 avait amplifiée, et qui renouait, selon Hoibian, « avec certains principes de l’éducation bourgeoise du XVIIIe siècle, élaborés dans les milieux proches de l’orléanisme protestant »541. A travers notamment l’institution des caravanes scolaires, le CAF défendait une éducation alliant les formations intellectuelle, physique et morale de la jeunesse, différente de celle que dispensaient l’institution scolaire jugée trop intellectuelle, les mouvements comme le scoutisme laissant trop de place à l’initiative individuelle et à la « débrouillardise », ou encore les sports anglais trop intensifs.

Le modèle de l’excursionnisme cultivé qui s’imposa dans l’univers des alpinistes en France par l’action du CAF s’appliquait donc à la fois à la pratique de l’alpinisme lui-même, mais aussi au recrutement des membres et à l’éducation de la jeunesse. Il resta dominant jusqu’aux années trente, malgré la montée de l’opposition formée par les conceptions qu’Olivier Hoibian qualifie d’élitisme technique et d’alpinisme sans prétention542.

Notes
541.

Ibid., p. 56.

542.

Pour un bon résumé de la contestation de l’excursionnisme cultivé entre 1874 et 1914, voir : Ibid., p. 124-126.