Conclusion

Au cours du 18e siècle, la conception que se faisaient les élites cultivées de la montagne fut considérablement modifiée par un mouvement de découverte scientifique, littéraire et artistique des régions montagneuses, renouvelant leur perception négative comme lieu du divin et obstacle au déplacement, que le 17e siècle classique avait perpétué en opposant le chaos du relief à son désir d’ordre. A la suite des philosophes suisses, la littérature et l’iconographie préromantiques soulignèrent la magnificence des paysages alpins. Passant d’une approche purement théorique à une approche naturaliste essentiellement fondée sur la description et la classification, les savants du siècle des Lumières posèrent les bases de la future glaciologie en même temps qu’ils devenaient les premiers ascensionnistes, à l’image de Saussure, artisan de la conquête du Mont Blanc. La deuxième moitié du 19e siècle fut marquée par le double essor des connaissances scientifiques et touristiques de la montagne. Au sein de la glaciologie puis de la géomorphologie, qui renouvelaient radicalement le regard scientifique en imposant des explications physiques à orogenèse, s’affirma le rapport ambigu entre cartographie et science : alors que les cartographes la concevaient comme un outil potentiel de la recherche scientifique, la carte était en fait d’autant plus une simple application scientifique qu’à la fin du siècle l’interprétation topologique du terrain prenait une place centrale dans sa représentation topographique. Parallèlement, l’essor de l’ascensionnisme, qui ne fut qualifié d’alpinisme dans toutes les chaînes de montagne qu’au début du 20e siècle, prenait une forme originale dominée par les caractéristiques culturelles de la découverte scientifique et artistique de la montagne, qu’Olivier Hoibian qualifie d’excursionnisme cultivé. Inscrit jusque dans les statuts des clubs alpins qui institutionnalisaient la pratique de l’ascensionnisme, cette conception du tourisme de montagne resta prédominante au Club alpin français jusqu’à la fin des années vingt, malgré une opposition de plus en plus forte. Son influence considérable dans tous les clubs alpins européens jusqu’à la fin du 19e siècle favorisa le soutien constant à l’étude de la montagne et notamment à l’émergence d’une cartographie indépendante à destination scientifique et touristique.