Chapitre 2. La naissance d’une cartographie touristique et scientifique indépendante.

Jusqu’au milieu du 19e siècle, la première période de découverte de la haute montagne avait été dominée par les préoccupations scientifiques et littéraires. Les cartes qui accompagnaient les récits de voyages n’étaient topographiques ni par leur échelle, ni par leurs méthodes de réalisation, qui ne reposaient jamais sur des levés directs du terrain. Elles servaient uniquement à illustrer les récits ou les théories glaciologiques des savants, et conservaient une représentation traditionnelle du relief en perspective cavalière. Les seules cartes topographiques des régions alpines françaises étaient dressées par le Dépôt de la guerre, à l’exception de la Carte physique et minéralogique du Mont Blanc (1 : 90 000), certes publiée par un éditeur indépendant en 1815, mais levée et dressée par un militaire, l’ingénieur géographe Raymond, entre 1797 et 1799. La principale raison de ce refus de la cartographie topographique était l’absence de besoins pratiques : les savants n’utilisaient pas les cartes comme sources documentaires543, l’ascensionnisme ne se pratiquait qu’avec des guides locaux qui reconnaissaient et proposaient généralement les itinéraires544, et les régions de montagne ne connaissaient encore aucun développement industriel qui aurait pu nécessiter des plans topographiques. Comme je l’ai déjà souvent souligné, la relative indifférence dans laquelle furent menés les opérations géodésiques et les premiers levés topographiques pour la carte de France illustrait d’ailleurs parfaitement l’absence d’intérêt pour la cartographie des zones montagneuses avant les années 1850. Ce ne fut qu’avec l’exploration plus systématique des Alpes par les glaciologues et les ascensionnistes qu’apparurent les premières cartes topographiques indépendantes, toujours dressées dans une orientation plus illustrative que pratique. Mais en France, la publication des feuilles pyrénéennes et alpines de la carte d’état-major provoqua un important mouvement de critique dans le milieu de l’excursionnisme cultivé, qui aboutit à la naissance de la figure originale du topographe-alpiniste. L’activité des premiers « topographes-alpinistes » dans les Pyrénées était encore dominée par une approche figurative de la représentation du relief, mais sa transposition dans les Alpes marqua l’affirmation d’une approche plus géométrique et scientifique, incarnée par les cousins Henri et Joseph Vallot.

Notes
543.

Voir supra, partie 2, chapitre 1.2.

544.

Voir supra, partie 2, chapitre 1.3.