2.1.2.2. Des cartes-illustrations aux éditions séparées.

A l’exception de la seconde édition de la carte de Forbes, les cinq autres cartes publiées avant 1860 accompagnaient des récits de courses ou des descriptions plus générales de la montagne alpine. Certaines représentaient des itinéraires d’ascension, comme par exemple, dans le livre du révérend S. W. King sur The Italien valleys of the Pennine Alps 564, la Travellers map of the Mont Blanc dressée par W. et A. K. Johnston, qui montrait les voies historiques d’ascension du Mont Blanc depuis Chamonix (1786), Courmayeur et Saint-Gervais (1855). Mais l’objectif restait strictement illustratif et documentaire, sans aucune orientation utilitaire – à l’image des cartes moins topographiques qui accompagnaient l’importante production d’ouvrages sur la vallée de Chamonix et les montagnes qui l’entourent, comme le Mont Blanc de Charles Durier565. Le développement « touristique » de la région de Chamonix avait certes été assuré très tôt par le succès de la conquête du Mont Blanc et par la création de la compagnie des guides en 1821, mais il restait encore très relatif jusqu’aux années 1850. S’il y avait une demande de la part du public cultivé pour des récits d’excursion accompagnés de cartes, la pratique de l’ascensionnisme restait extrêmement limitée et ne se concevait de toute façon pas sans un guide qui proposait seul les voies d’ascension.

Mais après 1860, le type de publication des cartes changea radicalement : quatre des six cartes indépendantes publiées entre 1860 et 1907 furent ainsi diffusées séparément de tout ouvrage, et les deux autres, la Carte topographique du massif du Mont Pelvoux du Club Alpin Français et la Carte du Haut-Dauphiné d’Henri Duhamel, connurent rapidement des éditions séparées. Ce changement fut en grande partie provoqué par le succès de la seconde édition de la carte de Forbes auprès des alpinistes, qui avait montré l’apparition d’un besoin « touristique » pour les cartes en elles-mêmes et confirmé l’essor de la découverte de la montagne dans le domaine du loisir.

L’implication de plus en plus grande des alpinistes anglais dans le choix des voies d’ascension, en partie liée à la compétition pour les « premières », et les débuts de l’alpinisme sans guide demandaient d’ailleurs un contenu informatif nouveau aux cartes. Si dans la Map shewing three routes to the summit of the Mont Blanc (1856), qui accompagnait le récit de l’ascension du Mont Blanc exécutée sans guide en août 1855 par un groupe d’alpinistes anglais en suivant une nouvelle route partant de Saint-Gervais, les itinéraires d’ascension étaient surtout indiqués à titre illustratif, la représentation des routes connues entra peu à peu dans la pratique cartographique. Ainsi, Adams-Reilly complétait sa carte de The Chain of Mont Blanc (1865) en dessinant les routes qu’il avait empruntées. En 1876, Viollet-le-Duc intégra dans sa carte de nombreux itinéraires et sentiers, qui lui donnait une valeur touristique supérieure à la carte d’Adams-Reilly, sans pour autant être confirmée comme un outil touristique. L’exemple le plus complet d’une carte à vocation touristique reste La Chaîne du Mont Blanc 566 dressée par Xavier Imfeld sur la base des levés de l’alpiniste Louis Kurz. Un nombre important d’itinéraires et de voies d’ascension était représenté, parmi lesquels de nouvelles voies d’accès au Mont Blanc et des itinéraires de cols alpins permettant la traversée du massif. Le succès de cette carte, qui connut de nombreuses éditions, confirme le développement du besoin cartographique des premiers « touristes ».

Notes
564.

KING S.W. The Italian valleys of the Pennine Alps. Londres : J. Murray, 1858, 558 p.

565.

DURIER Charles. Le Mont Blanc. Paris :Sandoz et Fischbacher, 1877, 486 p.

566.

BARBEY Albert, IMFELD Xavier, KURZ Louis. La Chaîne du Mont Blanc. Op. cit.