2.1.2.3. Des échelles choisies pour concurrencer la carte de France.

Les échelles employées témoignent aussi de l’affirmation de besoins moins centrés sur les représentations générales que sur les cartes détaillées. Sur les treize cartes étudiées, huit furent dressées à des échelles égales ou supérieures à 1 : 80 000, dont cinq cartes sur six pour la période postérieure à 1860. Plusieurs raisons expliquent l’utilisation d’échelles considérées comme grandes à cette époque. Tout d’abord, elle marquait une étape dans la connaissance topographique des deux grands massifs touristiques des Alpes françaises. Comme le soulignent Giorgio et Laura Aliprandi à propos du massif du Mont Blanc, « les cartes spécifiques [s’attachaient] désormais à la description de secteurs particuliers du massif, ce qui prouve que les connaissances topographiques du Mont Blanc avaient atteint un bon niveau général, permettant de répondre avec plus de précision à de nouvelles exigences »567.

Je pense que l’emploi de grandes échelles montre aussi une insatisfaction du public des cartes alpines, notamment par rapport à la carte de France. En effet, dans leur majorité, les cartes indépendantes étaient dressées à une échelle égale ou supérieure à la carte d’état-major, ce qui les mettait en concurrence directe avec les feuilles de celle-ci consacrées à la haute montagne alpine, publiées entre 1867 et 1876 – le massif du Mont Blanc étant partiellement représenté sur les feuilles de Vallorcine et d’Annecy, publiées respectivement en 1867 et 1869 – mais aussi avec les minutes de Mieulet publiées au 1 : 40 000 en 1865568. La multiplication des cartes couvrant les mêmes régions témoigne aussi d’une insatisfaction plus générale envers les cartes indépendantes elles-mêmes, dont aucune n’arriva à s’imposer comme une référence durable avant la carte des Vallot569. J’interprète cette insatisfaction chronique avant tout comme le signe d’une évolution rapide des besoins « touristiques », dont témoigne le succès de la carte d’Imfeld ; mais dans ses rapports avec la carte de France, elle montre aussi une divergence profonde des conceptions cartographiques, qui se traduisait par exemple dans les multiples cartes exploitant les minutes de la carte officielle avec des systèmes de représentation différents.

Notes
567.

ALIPRANDI. La Découverte du Mont-Blanc. Op. cit., p. 94.

568.

Voir infra, partie 2, chapitre 3.3.2.

569.

Voir infra, partie 2, chapitre 2.3.