2.1.3.4. Une représentation géométrique opportuniste : la reprise des courbes de niveau des minutes de la carte d’état-major.

A l’exception des courbes de niveau ajoutées sur la carte d’Imfeld à partir de 1905, les seuls exemples d’une représentation géométrique du relief se trouvent sur les cartes du massif des Ecrins qui recopiaient les courbes de niveau des minutes de la carte d’état-major. La Carte topographique du massif du Mont Pelvoux (1874, 1 : 40 000) du Club alpin français adoptait une échelle et une équidistance identique à celle des minutes, mais en mettant en valeur par un trait gras des courbes maîtresses équidistantes de cent vingt mètres. La Maps of the Dauphiny Alps (première édition en 1887, 1 : 100 000) de Duhamel reprenait également la même équidistance, mais sans mise en valeur de courbes maîtresses. Toutes deux restaient des œuvres de compilation, dont les apports se limitaient à une toponymie révisée et à une représentation figurative plus travaillée, soit par l’emploi de teintes colorées dans la carte du CAF, soit par une représentation du rocher plus expressive dans la carte de Duhamel. Elles ne représentaient aucun itinéraire, alors même que le massif des Ecrins commençait pourtant à être bien exploré, comme en témoignaient certains toponymes inscrits sur les cartes, « Pic Coolidge » ou « Pointe Puiseux » par exemple.

J’interprète cette utilisation des courbes de niveau plus comme un opportunisme pragmatique que comme une véritable ambition d’adopter une représentation géométrique du relief. Les cartes du CAF et de Duhamel utilisaient des courbes de niveau surtout parce que leur principale source topographique en comportait. L’utilisation préférentielle des minutes au 1 : 40 000 tenait probablement à leur clarté supérieure qui facilitait la copie, mais aussi peut-être au début d’une préférence des alpinistes pour les courbes de niveau qui permettaient une estimation des dénivelés. Les travaux des premiers « topographes-alpinistes »574 généralisèrent cette préférence, au point que l’ajout tardif de courbes sur la carte d’Imfeld peut être vu comme le signe d’une véritable demande des alpinistes.

Je trouve particulièrement révélateur de cette attitude opportuniste que les principales modifications apportées aux minutes de la carte d’état-major soient d’ordre figuratif. Elles illustraient une critique récurrente des alpinistes qui reprochaient à la carte de France de ne pas donner une représentation assez expressive du relief : jusqu’à la fin du 19e siècle, la découverte de la montagne était autant esthétique que scientifique ou touristique, et sa représentation devait donc conserver un côté artistique, que ce soit en littérature, à travers les évocations lyriques de la magnificence des hauteurs dont abondaient les récits de courses ou d’excursions scientifiques, ou en cartographie.

Mais l’utilisation des courbes de niveau montrait aussi les limites techniques plus générales des premiers cartographes indépendants de la haute montagne. Leurs réalisations n’étaient que rarement basées sur des levés originaux, et elles ne consistaient alors le plus souvent qu’en de simples observations détaillées (Viollet-le-Duc, Kurz), parfois appuyées sur des points déterminés par une triangulation (Forbes, Adams-Reilly). Aucune de ces techniques ne permettait une représentation géométrique du relief de haute montagne, que le service officiel lui-même avait plus ou moins abandonnée575. Ce fut dans ce contexte d’insatisfaction vis-à-vis de la carte de France et de compétences limitées des cartographes indépendants qu’émergea la figure originale du « topographe-alpiniste » dans le dernier quart du 19e siècle – d’abord dans les Pyrénées, puis avec plus d’ampleur dans les Alpes.

Notes
574.

Voir infra, partie 2, chapitre 2.2.

575.

Voir supra, partie 1, chapitre 4.2.2.3.