2.2.1.2. Une critique systématique justifiée par le credo de l’excursionnisme cultivé.

La nature même des critiques adressées par les alpinistes à la carte de France soulignait leur emploi régulier de cette carte. Plus qu’un jugement général sur la représentation du relief adoptée ou la lisibilité des feuilles de montagne, ces critiques se construisaient dans une étude détaillée du contenu, reposant sur de multiples comparaisons avec le terrain. Tous les clubs alpins – et particulièrement le Club alpin français – partageaient le but d’accroître la connaissance des montagnes, généralement inscrit dans leur statut même. La carte d’état-major se présentant comme l’état officiel de la science française en matière de topographie, les membres du CAF mettait en pratique leur conception de l’ascensionnisme en adoptant une attitude de critique constructive, qui consistait à corriger toutes les erreurs découvertes sur cette carte. Dans le dernier quart du 19e siècle, la chasse aux erreurs se systématisa dans une pratique quasi-institutionnalisée de la critique, justifiée par le credo de l’excursionnisme cultivé.

Dans cette conception de la découverte des montagnes, les ascensionnistes apportaient fréquemment dans leurs courses des instruments scientifiques simples afin d’effectuer quelques observations sur la température et la pression atmosphérique. Ils effectuaient généralement des inventaires des sommets environnants et tentaient parfois de déterminer l’altitude de celui qu’ils venaient de gravir à l’aide du baromètre. La plupart concentrait leurs efforts sur des régions peu étendues pendant de nombreuses années, ce qui leur permettait d’accumuler une quantité importante de connaissances qu’ils se mirent en devoir de faire partager. Les récits de course et les revues spécialisées se peuplèrent de passages ou d’articles entiers consacrés aux corrections et aux compléments de la carte de France en matière de toponymie, de sentiers et d’itinéraires, ou encore d’altitudes des sommets pour l’ascension desquels les alpinistes dépensaient tant d’énergie qu’ils voulaient en connaître aussi précisément que possible la hauteur. Par rapport à une communauté des alpinistes de taille encore réduite, les critiques et correctifs de la carte de France étaient nombreuses, au point que René Siestrunck affirme que « les revues touristiques des vingt-cinq dernières années du XIXe et du début du XXe siècle [débordaient] de mises au point, de contestations, de cartes et de croquis »581.

Notes
581.

SIESTRUNCK René. Tourisme, patriotisme et topographie. Op. cit., p. 346.