2.2.1.3. Les premières cartes d’alpinistes, des rectifications de la carte d’état-major.

Si les corrections et compléments à la carte d’état-major prenaient le plus souvent la forme de listes de noms et d’altitudes ou d’études détaillées sur une erreur toponymique ou topographique, certains ascensionnistes dressèrent également des cartes approximatives, généralement appelées cartes-croquis ou ­­esquisses topographiques.

Les premières cartes publiées par des ascensionnistes avaient ainsi pour unique but de rectifier les défauts et les erreurs de la carte de France, principalement dans les domaines de la toponymie et des itinéraires. Les premiers exemples concernaient les Pyrénées, pour lesquels l’absence de représentation du versant espagnol était particulièrement problématique aux yeux des pyrénéistes. Ainsi, le comte Russel accompagnait le récit de ses Grandes ascensions des Pyrénées d’une mer à l’autre paru en 1866, d’une douzaine d’esquisses topographiques, dont l’une représentait la région des Monts Maudits au 1 : 100 000582. La même année, son éternel rival Charles Packe dressa lui aussi une cartes Monts Maudits au 1 : 80 000583 pour son Guide to the Pyrenees : la position et l’altitude des points avaient été déterminées au cours de trois séjours à l’aide « d’une boussole, d’un baromètre anéroïde et d’un appareil à déterminer l’altitude par le point d’ébullition de l’eau », instruments pour le moins approximatifs. Henri Béraldi écrivit plus tard sur cette carte que « rien n’y [était] à sa place mathématique, mais [que] tout y [était] »584 – une description un peu rapide puisque la « carte laissait de vastes espaces blancs […], les parties les plus travaillées [étant] les deux massifs des Mont-Maudits et des Posets »585.

Les alpinistes disposant de cartes dressées par des scientifiques ou des militaires pour les deux principaux massifs touristiques, la critique de la carte de France ne se traduisit pas comme dans les Pyrénées par la publication de cartes approximatives, mais elle n’en fut pas pour autant moins vive. Cependant, l’ambition des ascensionnistes de corriger la carte de France se trouvait encore limitée par leur compétence technique qui restreignait la pertinence de leur critique à la toponymie et au tracé des itinéraires. En 1889, Emile Lavasseur soulignait d’ailleurs la prétention d’une telle ambition :

‘« Si quelques-uns se flattent de corriger avec le baromètre une cote d’altitude obtenue par la triangulation, c’est une présomption que le succès justifie bien rarement : car le baromètre ne saurait avoir la précision des instruments de géodésie. »586

Ce fut justement pour résoudre le problème de l’imprécision des mesures effectuées par les ascensionnistes que le pyrénéiste Franz Schrader développa à partir de 1874 une méthode de levé simple et rapide, reposant sur un instrument original : l’orographe. Son œuvre constitue ainsi le premier exemple d’une cartographie véritablement topographique exécutée par un ascensionniste.

Notes
582.

RUSSEL-KILLOUGH Henri, Les grandes ascensions des Pyrénées. Op. cit. Les Monts Maudits. Planche hors texte. Echelle 1 : 100 000.

583.

PACKE Charles. A guide to the Pyrenees. Op. cit. Les Monts Maudits (Pyrenees). Carte hors-texte. Echelle 1 :80 000. 2 couleurs (bistre et bleu).

584.

BERALDI Henri. Cent ans aux Pyrénées. T.3, p. 59. Cité par BROC Numa. La Montagne, la carte et l’alpinisme. Op. cit., p. 113.

585.

Images de la montagne. Op. cit. Troisième partie : Découverte des sommets et tourisme (XVIIIe-XIXe siècles), p. 41.

586.

LEVASSEUR Emile. Les Alpes. Op. cit., p. 62.