2.2.2. Franz Schrader, le premier topographe-alpiniste.

2.2.2.1. La vocation pyrénéiste d’un « génie » autodidacte.

Par son œuvre imposante et les méthodes de travail qu’il développa, Franz Schrader (1844-1924)587 fut le véritable fondateur de la figure du topographe-alpiniste. Jeune employé de commerce bordelais, il découvrit les Pyrénées à vingt-deux ans lors d’un voyage à Pau en 1866. Sous sa plume ou celle de ses biographes, sa découverte fut racontée dans le même registre romantico-religieux du « coup de foudre » et de la « révélation » que celle de tous les grands ascensionnistes du 19e et du début du 20e siècle. Devenu rapidement un fervent pyrénéiste, il entreprit, dans le pur esprit de l’excursionnisme cultivé, « de décrire, mieux, de glorifier, la montagne par tous les moyens à sa disposition : le dessin, la peinture, le panorama, le tour d’horizon, la photographie et, bien sûr, la carte »588. Auteur des premiers cartes topographiques indépendantes des Pyrénées, il devint en 1880 directeur de la cartographie à la maison Hachette, menant en parallèle une carrière de professeur à l’école d’anthropologie et une activité associative au sein de la Société des peintres de montagne et du Club alpin français, dont il fut président de 1901 à 1904, après avoir participé à la création en 1877 de la section sud-ouest.

Censé avoir appris seul le levé, le dessin et la gravure topographique, il fut unanimement qualifié de génie autodidacte par tous ses biographes. Cette image de « génie sorti de nulle part » qui s’accordait si bien avec le mythe méritocratique et la croyance dans le progrès scientifique de la fin du 19e siècle m’apparaît trompeuse, et je pense qu’il faut au contraire souligner le contexte familial plus que propice, puisque Franz Schrader était par sa mère le neveu des géographes Elisée et Onésime Reclus. Toute l’ambiguïté de la légende construite autour de Schrader se retrouve dans la phrase de Béraldi affirmant qu’il était né « avec la géographie dans le sang », double référence implicite à son environnement familial et à une sorte de prédisposition innée. Il reste qu’à défaut de génie, Franz Schrader fut bien un innovateur, fondateur de la figure du topographe-alpiniste par la réalisation d’un grand nombre de cartes topographiques des Pyrénées qui affirmèrent pour la première fois la possibilité d’une cartographie détaillée des régions montagneuses exécutée par les ascensionnistes eux-mêmes.

Notes
587.

Sur Franz Schrader, voir entre autres : SAULE-SORBE Hélène. A quoi tient la beauté des montagnes. L’Alpe, 2000, 7, p. 75-81 ; SAULE-SORBE Hélène dir. Franz Schrader (1844-1924) : l’homme des paysages rares. Pau : Pin à crochets, 1997, 2 vol. ; HEÏD Maurice. Franz Schrader, esquisse biographique. In SCHRADER Franz. Pyrénées... Toulouse : Ed. Privat, 1936.

588.

BROC Numa. La Montagne, la carte et l’alpinisme. Op. cit., p. 113.