2.2.3.2. Le « sentiment artistique du dessinateur » dans la cartographie.

Certes, à l’exception de sa première Carte du Mont Perdu qui représentait le relief avec des hachures figuratives, Schrader utilisa pourtant toujours les courbes de niveau qu’il jugeait « [donner] seules aux formes du terrain une expression scientifique »596. Mais son approche de la cartographie restait plus figurative que géométrique, marquée par sa perception de peintre de montagne et son ambition de glorifier la montagne par ses diverses représentations cartographiques et artistiques. Les tours d’horizon à l’orographe eux-mêmes étaient perçus comme une représentation à part entière, suffisamment artistique une fois repris à la plume et à l’encre de Chine pour illustrer dans les revues spécialisées les descriptions de massif ou les récits de course597. La forme n’était d’ailleurs pas nouvelle : les Voyages dans les Alpes de Saussure étaient déjà illustrés en 1774 par une Vue circulaire des montagnes qu’on découvre du sommet du glacier de Buet dessinée par Bourrit.

Mais ce fut dans les cartes dressées à partir de ces tours d’horizon que se manifesta le plus clairement la tendance artistique de Schrader. L’utilisation des couleurs, les teintes subtiles appliquées pour souligner le modelé du glacier, le dessin et la gravure particulièrement détaillés et expressifs du rocher, le faible nombre de cotes d’altitude donnaient à sa première Carte du Mont Perdu un rendu beaucoup plus figuratif que géométrique, même s’il restait à mon avis moins pictural que dans les cartes alpines d’Adams-Reilly, de Viollet-le-Duc ou d’Imfeld. Schrader se situait plus dans une influence du dessin au trait. Dans son essai sur La Représentation topographique du rocher publiée en 1911598, il citait d’ailleurs Raphaël, Ingres ou Holbein. Même s’il recommandait son intervention tardive, « après que la science [a] donné toute ce qu’elle peut donner », le « sentiment artistique » occupait pour lui une place importante dans la représentation cartographique de la montagne, notamment pour l’éclairage599. En cela, il s’opposa à la tendance plus géométrique qui se développa chez les véritables topographes-alpinistes, c’est-à-dire dans les Alpes, sous l’influence d’Henri et Joseph Vallot à la fin du 19e siècle.

Notes
596.

Cité dans : Ibid.

597.

Sur ses tours d’horizon, Schrader appliquait un dégradé dans l’épaisseur des traits à l’encre selon la proximité des lignes de crêtes, afin de transposer la perspective atmosphérique sur le dessin.

598.

SCHRADER Franz. Essai sur la représentation topographique du rocher. Paris : Commission de topographie du Club alpin français, 1911, 35 p.

599.

Ibid., p. 34-35.