2.3.1.2. Une vocation alpiniste plus scientifique.

Mais une différence de taille séparait les expériences de Franz Schrader dans les Pyrénées et des Vallot dans les Alpes : alors que Schrader n’était qu’un commis de bureau – avec certes des prédispositions familiales pour la géographie – quand il découvrit la montagne en 1866, les cousins Vallot avaient tous deux suivi des études supérieures scientifiques et baignaient dans le positivisme technique de la fin du 19e siècle. Henri (1853-1922) avait été diplômé de l’Ecole centrale des arts et manufactures en 1876 et s’était spécialisé dans les tracés de chemin de fer, la construction du matériel roulant et les études hydrauliques602. Quant à Joseph (1854-1925), il avait suivi des études de naturaliste et de physicien à la Sorbonne, au Collège de France et au Muséum, travaillant jusqu’en 1891 à une série de monographies d’histoire naturelle.

Leur culture scientifique et technique favorisa une approche de la montagne radicalement différente de celle de Schrader. Contrairement à ce dernier dont la découverte des Pyrénées avait commencé par des croquis panoramiques inscrits dans la tradition des peintres de montagne, les Vallot adoptèrent immédiatement un point de vue scientifique dans la tradition de Saussure et Forbes. Ils réalisèrent rapidement une première série d’expériences parallèles, exécutées dans la vallée de Chamonix par Henri et au sommet du Mont Blanc par Joseph qui était meilleur ascensionniste. Sur une idée de Joseph, ils étudièrent ensuite la construction d’un observatoire en altitude. Henri conçut et dessina les plans d’un chalet-laboratoire qui fut installé aux Bosses (4 350 mètres), à proximité du sommet du Mont Blanc, en 1890603. Dans le domaine de la glaciologie, Joseph effectua entre 1891 et 1899 des relevés tachéométriques des déplacements horizontaux et verticaux de rangées de pierres peintes, disposées en travers de la Mer de Glace604.

L’activité scientifique pluridisciplinaire (botanique, glaciologie, météorologie, etc.) des cousins Vallot n’était possible qu’en raison du retard de la connaissance scientifique de la montagne, qui limitait la spécialisation observée à la même époque dans d’autres domaines comme la physique ou la chimie. A mes yeux, ils présentaient ainsi un caractère original, mélange de savants du siècle des Lumières par leur approche englobant de multiples disciplines, d’érudits du 19e siècle par leur passion romantique pour l’objet de leurs études, et de scientifiques du début du 20e siècle par leur foi absolu dans le progrès technique.

Notes
602.

HEÏD Maurice. Henri Vallot (1853-1922). Bulletin Pyrénéen, 1922, 163.

603.

Le chalet-laboratoire d’Henri Vallot servit de modèle à toute une génération de refuges de haute montagne, dont l’Observatoire météorologique du CAF installé en 1892 à proximité des Grands Mulets à la demande de l’astronome Janssen pour abriter les ouvriers qui assemblèrent son observatoire au sommet du Mont Blanc (voir partie 2, chapitre 2.1.1.3, note 123 [ réf ]).

604.

Il estima ainsi l’accélération estivale et observa le passage d’une onde cinématique, qu’il qualifia de « vague ». Il attribua également l’émergence de la glace, qu’il appelait « ablation » (il nommait « fusion » ce que les glaciologues modernes appellent « ablation »), à une crue du glacier. Voir LLIBOUTRY Louis, Traité de Glaciologie. Op. cit., p. 8.