2.3.2.2. L’échelle inédite, justification tautologique du projet.

Dès la première note de 1890, Henri et Joseph Vallot avaient affirmé l’idée d’une carte au 1 : 20 000, la seule échelle qu’ils jugeaient suffisamment détaillée « pour l’étude des phénomènes de dégradation des montagnes et de variation des glaciers, et [… pour] rendre aux touristes tous les services qu’ils sont en droit d’en attendre »607. Dans une perspective globale, ce choix s’inscrivait selon moi dans la dynamique, imposée par le paradigme du développement scientifique de la cartographie vers une précision toujours plus grande de la mesure et de la représentation, qui avait fait adopter au service cartographique militaire la même échelle du 1 : 20 000 pour ses plans directeurs608.

Cependant, je pense que la justification de ce choix par les besoins scientifiques et touristiques avait un caractère essentiellement messianique : en la formulant, les Vallot envisageaient des emplois possibles ou souhaités de leur carte, plus qu’ils ne répondaient à des besoins explicites, puisque que, comme je l’ai déjà montré609, les recherches géologiques et glaciologiques n’utilisaient pas les cartes topographiques en tant que sources documentaires. Dans le domaine touristique, l’échelle du 1 : 20 000 ne répondait pas plus à une attente pratique unanime des alpinistes. Elle témoignait d’une volonté de glorifier la montagne par sa représentation cartographique détaillée, mais au début du 20e siècle, certains topographes-alpinistes soutenaient toujours que des cartes à des échelles inférieures comme le 1 : 40 000 ou même le 1 : 80 000 pourraient être suffisantes610.

Mon hypothèse est donc que l’échelle supérieure adoptée constituait une justification tautologique du projet : en choisissant une échelle supérieure à toutes les cartes existantes du massif, Henri et Joseph Vallot rendaient leur carte forcément originale, et cette originalité même justifiait sa réalisation – ainsi que le choix de l’échelle, dans une argumentation en cercle fermé. Les autres arguments avancés, comme les erreurs ou les inexactitudes des autres cartes, devenaient alors accessoires.

Notes
607.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Note sur la carte... Op. cit., p. 7-8.

608.

Voir infra, partie 2, chapitre 4.3.1.

609.

Voir supra, partie 2, chapitre 1.2.3.4.

610.

Voir infra, partie 3, chapitre 1.2.1.