2.3.2.3. L’ambition d’originalité, une clé d’interprétation.

L’originalité était sans doute la caractéristique la plus importante de l’entreprise des Vallot. Même s’ils étaient généralement présentés comme extrêmement modestes, à l’image de tous les savants, ils ne faisaient preuve d’aucune modestie dans l’ambition scientifique de leur carte. Je trouve très révélateur le refus qu’opposa Henri à l’utilisation de celle-ci comme modèle pour les autres topographes-alpinistes, sous prétexte qu’il s’agissait « d’une œuvre toute spéciale, ayant la prétention de dépasser même les Plans Directeurs en précision et en abondance de détails dans les hautes régions, et qui, par conséquent, ne [pouvait] servir de type »611 (il lui préféra dans ce rôle la carte du Mont-Perdu de Schrader). Comme pour l’observatoire du Mont Blanc, le désir de nouveauté était particulièrement affirmé chez les deux cousins, et pour reprendre les mots mêmes du fils d’Henri, « faire en la circonstance un travail entièrement original était bien dans la mentalité des deux hommes »612.

Cette volonté d’originalité ne s’appliquait pas qu’aux spécifications générales de la carte, mais aussi à tous les autres secteurs du travail cartographique. Contrairement à Schrader, dont les compétences techniques étaient plus limitées, les Vallot souhaitaient réaliser une carte entièrement nouvelle, non seulement dans les données géodésiques, topographiques et toponymiques exploitées, mais aussi dans les méthodes utilisées pour réunir ces données. Selon moi, cette ambition, plus ou moins efficacement justifiée par des argumentations insistant sur l’inadaptation des méthodes traditionnelles, dépassait la seule rigueur scientifique pour devenir une fin en soi, comme le montrait sa généralisation à tous les secteurs de la cartographie. Sans pour autant percevoir Henri et Joseph Vallot comme des topographes mégalomanes – après tout, l’originalité est l’un des principaux moteurs de la recherche scientifique –, j’estime qu’au-delà de leurs justifications rationnelles, cette quête de l’originalité constituait véritablement la motivation principale de leurs travaux.

Notes
611.

Lettre d’Henri Vallot à Paul Helbronner, datée du 6 décembre 1902, citée par MAURY Colonel Léon. L’œuvre scientifique du CAF. Op. cit., p. 131.

612.

VALLOT Charles. Un portrait du Mont-Blanc. La Montagne, avril 1939, 4e série, 306, p. 97.