Dans la perspective d’une étude globale de l’évolution cartographique alpine au 19e et 20e siècle, j’ai été amené à définir une conception que j’ai qualifiée de fixiste de la cartographie qui envisage la carte comme un tableau fixe du territoire à un moment donné636. Conçue comme une représentation figée d’un état passé du territoire, la carte faisait partie intégrante de la documentation sur les conflits antérieurs qu’était chargé de réunir le Dépôt de la guerre depuis sa création. La cartographie elle-même était envisagée comme une activité de recueil et de traitement d’informations relatives au passé, avec une fonction illustrative forte, qui justifiait le maintien d’un lien entre l’activité cartographique du Dépôt de la guerre et ses activités historiques et archivistiques.
Bien sûr, l’affirmation de nouveaux besoins administratifs et militaires s’opposait à cette conception fixiste de la cartographie. Les spécifications de la carte de Cassini, puis de la carte d’état-major, avaient en partie été modelées par leurs utilisations prévues par Colbert à la fin du 17e siècle, Louis XV au 18e siècle ou les militaires au début du 19e siècle. Mais j’estime que dans l’entreprise de ces deux cartes de France, l’utilité pratique avait surtout été avancée comme un argument justifiant les investissements budgétaires. Pour la carte d’état-major, l’ordonnance de 1824 et le Comité du Dépôt de la guerre avaient privilégié les seuls besoins des administrations centrales637 : si cette orientation me paraît suffisante pour marquer le début du développement d’une conception utilitariste, son influence restait mineure et les administrations concevaient mieux le rôle symbolique de la couverture cartographique du territoire que son intérêt pratique.
D’un point de vue purement institutionnel, mon hypothèse de la prédominance de la conception fixiste est d’ailleurs démontrée par l’insistance avec laquelle l’administration centrale avait maintenu les services historiques et archivistiques des armées et le service cartographique, qui produisait également des documents civils, dans un unique organisme – malgré quelques projets de réforme vite enterrés638. Jusqu’au choc de la défaite de 1870, les autorités avaient ainsi continué de considérer la cartographie comme une activité connexe aux études historiques, c’est-à-dire plus liée au passé qu’au présent.
Voir notamment supra, partie 1, chapitre 2.1.1.4.
Ce qui explique d’ailleurs que les tirages limitées à quelques milliers d’exemplaires par feuille aient toujours été jugés suffisants.
Voir supra, partie 1, chapitre 2.3.1.1.