3.1.2.4. La Commission centrale des travaux géographiques.

Loin du projet ancien de Brossier en 1816 et des revendications initiales de Perrier, le Service géographique de l’armée ne réunissait pas en un seul organisme tous les services cartographiques officiels, civils et militaires. Si le cadastre ou le service hydrographique de la Marine restaient intégrés à d’autres ministères, la situation était encore plus complexe qu’au début du 19e siècle : insatisfaits du caractère militaire de la carte de France au 1 : 80 000, de nombreux organismes publics avaient en effet constitué des services cartographiques qui réalisaient des cartes spécifiques dérivées du 1 : 80 000, comme par exemple la carte au 1 : 100 000 du ministère de l’Intérieur ou la carte au 1 : 200 000 du Service vicinal.

Après la guerre de 1870, la création d’une Commission centrale des travaux géographiques avait été envisagée pour diriger l’ensemble de ces travaux, sur le modèle de la Commission royale de 1817 et d’institutions existantes dans d’autres pays européens647. Présenté le 11 décembre 1875 à l’Assemblée nationale par le général Billot, le projet ne fut pas concrétisé, mais l’argumentation pour son adoption reflétait bien l’évolution des rapports de force dans le domaine cartographique. En effet, le projet se prononçait pour « rétablir une institution dont la France [avait] eu l'initiative et qui, sous la présidence de Laplace, [avait] dirigé les travaux de notre grande carte nationale »648. Mais de la part du service cartographique qui avait travaillé à écarter la Commission royale de la direction de la carte de France, cette proposition n’exprimait certainement pas la volonté de créer une nouvelle commission interministérielle indépendante, susceptible d’imposer une orientation différente aux travaux cartographiques. Je considère au contraire qu’elle signifiait la volonté du Dépôt de la guerre de contrôler une telle commission pour imposer ses propres vues aux autres services, soutenue par l’importance nouvelle que lui avait donné la démonstration de l’utilité militaire des cartes pendant la guerre de 1870.

Pourtant, quand le rapporteur du budget demanda quinze ans plus tard au Service géographique de l’armée s’il était envisageable de centraliser tous les travaux cartographiques des services étatiques dans un même établissement, celui-ci répondit qu’une telle mesure ne serait ni économique, ni avantageuse, puisqu’elle nécessiterait de rattacher de nombreux spécialistes au SGA et de développer le service de reproduction au point de devoir le déménager dans de nouveaux bâtiments. Il s’agissait là d’un changement considérable par rapport à la position défendue par Perrier à peine quelques années plus tôt, mais qui s’expliquait en partie par la situation du service. La révision régulière de la carte de France posait suffisamment de problèmes à sa direction pour qu’elle ne se charge pas en plus d’intégrer des productions hétérogènes à son activité649. Surtout, engagé dans une refonte complète de sa production cartographique650, le SGA s’était définitivement concentré sur la cartographie topographique pour laquelle les autres services cartographiques officiels ne pouvaient guère lui servir – même si le projet d’une carte de France basée sur le cadastre rejaillit quelques années plus tard651.

A la place d’un service cartographique centralisé, le décret du 10 juin 1891 faisant suite à la loi du 26 décembre 1890 créait donc une Commission centrale des travaux topographiques, principalement chargée de supprimer les cartes faisant double emploi entre les services. Son activité même confirme mon hypothèse de l’affirmation d’une conception utilitariste de la cartographie. Si lors des réunions de 1891 et 1892, la Commission demanda bien la suppression de quelques rares publications, elle constata surtout que très peu de cartes faisaient double emploi, en soulignant la différence souvent très importante du contenu, même à échelle égale. La carte de France au 1 : 80 000 étant la seule carte dont la réalisation et l’entretien fût véritablement onéreux, la suppression des autres cartes n’aurait permis que des économies limitées au prix d’une perte d’utilité. La Commission confirmait ainsi cette nouvelle perception de la cartographie qui ne devait plus être un tableau général du territoire, mais une représentation adaptée à des besoins de plus en plus divers.

Notes
647.

Comme le Directoire central des levés en Allemagne, le Comité scientifique en Russie, ou encore l’Institut géographique en Autriche.

648.

Cité dans BERTHAUT Colonel. La Carte de France.T.2. Op. cit., p. 252.

649.

Voir infra, partie 2, chapitre 3.2.

650.

Avec la transformation de la carte de France dans le nouveau type 1889 (voir infra, partie 2, chapitre 3.1.3.2), la diversification des publications dérivées de cette carte (voir infra, partie 2, chapitre 3.3) et le développement des levés de précision (voir infra, partie 2, chapitre 4).

651.

Voir infra, partie 2, chapitre 3.4.1.3.