En 1870, la guerre de manœuvre sur le territoire français avait fait prendre cruellement conscience aux états-majors de la nécessité d’une carte mise à jour régulièrement. En 1873, le Dépôt de la guerre engagea donc une nouvelle révision dans les régions du nord-est non annexées, qui fut généralisée ensuite en une « révision d’ensemble » achevée en 1883. Celle-ci concernait essentiellement la planimétrie, que les officiers d’état-major devaient réviser sur le terrain même à partir des documents fournis par l’administration, mais aussi l’orographie pour les feuilles précoces dont le calque de courbes n’avait pas été dressé sur le terrain. En plus, les officiers devaient dresser des notices statistiques sur chacune des feuilles qu’ils révisaient.
Sans remettre en cause la nécessité de la révision, les autorités militaires l’adoptèrent avec la volonté de l’utiliser comme un exercice pour les officiers. Elles définirent volontairement une surface de révision très large : d’abord fixée à cent soixante lieues carrées à réviser en trois mois, elle fut diminuée fin 1873 à quatre-vingt lieues carrées, mais compte tenu des travaux demandés, celle-ci restait trop importante et les travaux prirent du retard. Dans son application, la révision démontrait le refus persistant des autorités de considérer les spécificités et les difficultés du travail cartographique, malgré la multiplication des rapports alarmants rédigés par les officiers dirigeants du Dépôt de la guerre.
La situation s’aggrava lorsqu’en 1875 les travaux de révision furent décentralisés pour être effectués dans les bureaux topographiques récemment créés dans chacun des dix-huit corps d’armées669, en réponse à leur protestation face à une répartition des opérations inadaptée à leurs exigences locales. Le Dépôt de la guerre ne s’occupait officiellement plus que de réunir les travaux et d’appliquer les corrections sur les feuilles. Malgré plusieurs instructions détaillant les informations à inclure dans les révisions et insistant sur le choix d’officiers compétents – la circulaire ministérielle du 17 avril 1882 était particulièrement critique à cet égard –, la méthode restait tellement imprécise que les résultats très hétérogènes furent unanimement jugés médiocres.
Les Alpes du nord offrent un bon exemple des conditions de révision. La répartition des opérations de la première révision d’ensemble, effectuée entre 1875 et 1878 sur la région concernée par mon corpus (carte 2), souligne la volonté d’une couverture systématique particulièrement rapide. Cependant, la reprise dès 1881 de révision dans certaines zones, alors même que la « révision d’ensemble » pour tout le territoire n’était pas achevée, témoigne des résultats insatisfaisants obtenus par la première campagne de 1875-1878 (carte 3).
Cette première révision d’ensemble – qui fut en 1878 explicitement qualifiée de « complétage » plutôt que de « révision » – eut des conséquences désastreuses pour les planches-mères : malgré les consignes de la Commission des travaux graphiques, une grande partie des corrections fut effectuée directement sur les cuivres originaux. Seul le retard des travaux permit d’épargner certaines planches-mères. A la lumière d’une méthode de révision formalisée à la fin du 19e siècle, les jugements sur la première révision de la carte de France se firent de plus en plus sévères. Ainsi, dans un historique général du Service géographique de l’armée publié en 1937, elle était décrite comme n’ayant eu « guère d’autre résultat que de faire apporter aux cuivres des corrections inexactes ou inutiles et de diminuer la valeur de la carte au lieu de l’améliorer »670.
Ces nouvelles structures militaires avaient été créées après la guerre de 1870 sur le modèle de l’armée prussienne.
Le SGA. Op. cit., p. 50.