3.2.2.3. La révision quinquennale, une inefficace révision de la révision.

Entre 1883 et 1889, les modifications de l’organisation des révisions ne répondaient qu’à l’unique souci de corriger les effets désastreux de la révision précédente. Dès 1884, il fut décidé de n’appliquer les corrections qu’à l’édition zincographique, sans toucher aux planches-mères en cuivre qui, si elles n’avaient pas encore été corrigées, restaient inactualisées mais évitaient l’accumulation des erreurs éventuelles des révisions. L’utilisation de la zincographie devait également permettre de limiter les retards en produisant théoriquement une édition complète et révisée de la carte chaque année. Le Service géographique671 adopta en fait un système de révision quinquennale de tout le territoire français, toujours effectuée par les bureaux topographiques des corps d’armées. Cependant, l’insuffisance des crédits empêcha la réalisation effective de la révision quinquennale qui fut finalement supprimée en 1889 après avoir encore privilégié pendant cinq ans les régions frontalières du nord-est.

La méthode de révision restait toujours aussi imprécise. Contre l’avis de nombreux officiers supérieurs du Service géographique qui estimaient que les opérations de révision étaient plus complexes que les levés topographiques initiaux, le Dépôt de la guerre continua de faire appel à des officiers peu qualifiés. La suppression du corps d’état-major en 1880 lui permit d’employer librement des officiers détachés de toutes les armes, pour un effectif moyen de cent soixante officiers entre 1884 et 1889. Malgré une discrète procédure de choix des plus compétents672, la qualité des travaux se ressentait de l’inexpérience des opérateurs et du rendement toujours aussi élevé demandé. Si les différents projets comptaient tous sur une réduction de la quantité de travail au fur et à mesure de l’accumulation régulière des révisions, tous les rapports soulignaient au contraire leur mauvaise exécution qui transformait chaque nouvelle opération en une révision de la révision précédente, maintenant une charge de travail toujours aussi importante.

Dans les Alpes, les années 1880 virent ainsi se succéder une série de révisions couvrant cycliquement les mêmes régions à un rythme bien plus important que les publications de feuilles révisées. Entre 1884 et 1886, une première révision complète était effectuée (carte 4), plus rapidement encore qu’en 1875-1878 grâce à l’augmentation du nombre d’officiers réviseurs, mais aussi par l’emploi de méthodes plus ou moins détaillées : ainsi, les opérations de 1884 étaient qualifiées sur les minutes que j’ai consultées de « révision sommaire ». Le rythme de révision atteignit des sommets en 1887, avec une révision également qualifiée de sommaire qui couvrit en une seule année toute la région concernée par mon corpus de feuilles (carte 5). Si les zones couvertes en 1889 et 1890 étaient limitées par la mise en place d’une méthode moins expéditive et l’emploi d’un nombre inférieur d’officiers, elles complétaient la zone importante couverte en 1888 – plus de la moitié des feuilles de mon corpus.

Carte 4 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1884-1886.
Carte 4 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1884-1886.
Carte 5 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1887-1890.
Carte 5 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1887-1890.
Carte 5 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1887-1890.
Carte 5 : Révisions de la carte de France au 1 : 80 000 dans les Alpes du nord, 1887-1890.

Dans ces conditions, la mise à jour de la carte, qui avait paru indispensable au lendemain de la guerre de 1870, n’était toujours pas réalisée de façon satisfaisante pour les états-majors militaires. L’inertie dans la transition vers une révision régulière de la carte de France aurait sans doute été mieux acceptée si elle ne s’était pas traduite par une accumulation de demi-mesures qui avaient produit des révisions invariablement jugées médiocres, quand ce n’était pas nuisibles à la carte, et par un coût finalement très élevé : en 1898, Berthaut évaluait le coût total des révisions menées entre 1870 et 1889 à environ 1,85 millions de francs673, soit un sixième du coût estimée pour la réalisation de la carte. Il fallut attendre les mutations institutionnelles tardives qui virent la création du Service géographique de l’armée pour que le problème de la révision soit abordé méthodiquement, en accord avec une reconnaissance plus grande de la nécessité et de la spécificité du travail cartographique.

Notes
671.

De la Sous-direction du Dépôt de la Guerre, nouveau nom du Dépôt de la guerre depuis 1882.

672.

Le SGA. Op. cit., p. 58-59.

673.

BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 173.