Avant même de se soucier d’éventuels nouveaux besoins, certains officiers s’étaient préoccupés de l’inadaptation des spécifications de la carte de France pour des utilisations administratives ou militaires qu’elle était pourtant plus ou moins censée permettre. Les critiques les plus vives concernèrent sa lisibilité. Elles permettent à travers des sources indirectes de poser la délicate question de la lecture de la carte, une pratique qui laisse peu de traces pour l’historien685.
Conçue comme une carte tactique à l’usage des états-majors militaires mais pouvant servir aux administrations centrales, la carte de France s’adressait à des utilisateurs formés à l’utilisation de cartes topographiques. Reflet de besoins purement militaires, ses spécifications rendaient sa lecture difficile aux autres publics. A cause de leur densité, les détails étaient parfois difficilement discernables dans la représentation des terrains accidentés couverts de hachures serrées, en particulier dans les éditions par report qui souffraient d’un empâtement du trait. Mais la diffusion de l’emploi des cartes topographiques dans l’armée avait montré que même les officiers ne possédaient pas toujours les connaissances nécessaires à une lecture efficace de la carte d’état-major. J’interprète d’ailleurs la conception explicite des révisions comme un entraînement pour les officiers, puis la décentralisation des révisions dans les corps d’armée et l’emploi d’officiers détachés au Dépôt de la guerre, comme la manifestation d’une volonté d’accroître par la pratique les compétences topographiques des officiers686.
Conscients de ces problèmes, certains officiers demandèrent des adaptations au Dépôt de la guerre. Ainsi, dès 1854, le maréchal de Castellane regrettait la lecture difficile de certaines feuilles chargées de hachures – alors que les feuilles alpines n’avaient pas encore été publiées. Dans une lettre au colonel Blondel, il s’enquérait de la possibilité de les tracer en couleur687. En 1867, plusieurs officiers supérieurs estimaient que la carte « suffisamment claire pour des yeux familiarisés avec la topographie, [était] loin de satisfaire sous ce rapport le plus grand nombre de lecteurs »688, et proposaient des amplifications photographiques au 1 : 40 000.
Si ces propositions ne concernaient encore que des besoins militaires et se concentraient sur les zones intéressantes au point de vue de la défense, je pense qu’elles préfiguraient une tendance qui se développa ensuite dans d’autres milieux utilisateurs de carte. Elles marquaient le début d’une prise de conscience au Dépôt de la guerre de l’existence de besoins pratiques plus spécifiques auxquels la conception militaire de la carte ne répondait pas, mais leur refus pour des raisons budgétaires provoqua la création de services cartographiques dans d’autres organismes publics dont les productions répondaient à l’inadaptation de la carte de France au 1 : 80 000.
Voir supra, « Historiographie… », 2.2.3.
Voir supra, partie 2, chapitre 3.2.
Lettre du maréchal de Castellane au colonel Blondel du 30 janvier 1854, citée par BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 214.
Cité par Ibid., p. 214.