L’inadaptation des spécifications de la carte d’état-major aux nouveaux besoins entraîna un développement original dans l’histoire de la cartographie. Jusqu’au milieu du 19e siècle, les cartes générales691 ne connaissaient que des dérivées à des échelles très différentes, soit sous la forme classique de nouvelles cartes à une échelle réduite, comme la carte dite de Capitaine dérivée à une échelle quatre fois inférieure de la carte de Cassini692 ou encore la carte de France au 1 : 320 000 dérivée du 1 : 80 000, soit sous la forme plus récente de reproductions des minutes ou d’amplifications photographiques ponctuelles. Mais dans la deuxième moitié du 19e siècle, la carte d’état-major servit de base à de nouvelles cartes qui s’en différenciaient par les spécifications ou le contenu lui-même. Dans un premier temps, elles furent dressées pour répondre à des besoins spécifiques dans des services extérieurs au Dépôt de la guerre, comme la carte de France au 1 : 100 000 du ministère de l’Intérieur. Mais ensuite, sous l’impulsion de l’affirmation d’une conception plus utilitariste de la cartographie, le Dépôt de la guerre lui-même développa de telles cartes dérivées.
De nombreux essais d’amplification ou de mise en couleur de la carte d’état-major furent ainsi exécutés, même si certains furent plus ou moins rapidement abandonnés, à l’image des divers projets d’une carte au 1 : 50 000 en couleur dérivée du 1 : 80 000. Quatre de ces projets concernèrent les Alpes du nord, soit parce qu’ils étaient directement conçus pour cette région (carte du massif du Mont Blanc, carte de la frontière des Alpes au 1 : 80 000), soit parce que des essais ou des publications la couvrirent (amplification du 1 : 80 000 au 1 : 50 000 en noir, puis en couleurs) (encadré 4).
Massif du Mont Blanc (1865, 1 : 40 000, 62 x 78 cm) |
Dressée à partir des minutes des levés exécutés par le capitaine Mieulet en 1863 et 1864 pour la carte d’état-major (feuille Annecy et quart sud-ouest de Vallorcine), complétée pour le versant suisse par la carte de Suisse au 1 : 100 000. |
Sa publication fut acceptée par le maréchal Randon, ministre de la Guerre, sur la demande du colonel Borson qui, selon l’anecdote classique, aurait été convaincu lors d’une tournée d’inspection par Adams-Reilly de faire éditer les minutes de Mieulet 693 . |
Relief représenté en hachures normalisées, sauf pour les glaciers en courbes de niveau équidistantes de vingt mètres, extrapolées à partir des cent soixante points déterminés par Mieulet et de ses observations de terrain. Rocher en hachures figuratives. Cinq couleurs : noir pour la planimétrie et la toponymie, bistre pour l’orographie (courbes et rocher), bleu pour l’hydrographie et les glaciers, vert pour la végétation et rouge pour les habitations. |
Carte de la frontière des Alpes (1ère livraison en 1875, 1 : 80 000) |
Dérivée de la carte de France au 1 : 80 000 et des cartes italiennes, commencée en 1872 par le colonel Saget en même temps qu’une édition au 1 : 320 000. La carte devait compter soixante-douze feuilles équivalentes à un quart de feuilles du 1 : 80 000, d’Albertville et d’Aoste à la Méditerranée, mais quatorze d’entre elles qui ne couvraient aucun territoire français ne furent jamais publiées. |
Relief représenté en courbes de niveau, fictives pour la partie italienne. Trois couleurs : noir pour la toponymie et la planimétrie, bleu pour l’hydrographie, bistre pour les courbes de niveau, plus un mélange de bleu et de bistre donnant une teinte verdâtre pour les zones boisées. |
Amplification en noir de la carte de France au 1 : 80 000 (1889-1958, 1 : 50 000) |
Amplification par héliogravure de la carte de France au 1 : 80 000. Réalisée à l’origine pour des besoins de service (révision notamment), elle fut mise à la disposition du public au cours des années 1890 ; son succès garantit sa publication jusqu’en 1958 694 . |
Spécifications identiques à la carte de France au 1 : 80 000, découpage en quart de feuilles. |
Amplification en couleur de la carte de France au 1 : 80 000 (1897-1901, 1 : 50 000) |
Amplification de la carte d’état-major au 1 : 80 000, par un procédé mixte d’héliogravure à partir de clichés positifs grattés (planches du relief et de la végétation) et de gravure sur zinc à partir de faux-décalques obtenus par héliogravure 695 . Bien qu’aucune feuille n’ait été publiée, un certain nombre fut gravé jusqu’en 1901, date à laquelle la dernière feuille fut préparée, sans même bénéficiée d’un report pour la gravure, à cause du début de réalisation de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000. Dans les Alpes furent établies les quarts des feuilles Thonon, Annecy, Vallorcine, Albertville, Tignes, Bonneval et Saint-Jean-de-Maurienne 696 , plus le quart sud-est de Grenoble qui faisait partie des trois feuilles présentées en exemple à la Commission centrale des travaux géographiques en 1897. |
Spécifications identiques à la carte de France au 1 : 80 000, sauf pour les couleurs et un estompage servant à rehausser les hachures (diapason en éclairage zénithal). Quatre couleurs : noir pour la toponymie et l’orographie, bleu pour l’hydrographie et les glaciers, vert pour la végétation, rouge pour la planimétrie (habitations et voies de communication). |
On n’employait pas encore l’expression « carte de base ».
Voir supra, partie 1, chapitre 1.1.3.5.
Voir supra, partie 2, chapitre 2.1.1.2.
Exp. IGN 1958, p. 15.
Pour plus de détails sur le procédé, voir BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 247-248.
Du moins, ce sont les seules feuilles dont j’ai trouvé des épreuves d’essai conservées à la cartothèque de l’IGN. N’étant ni publiées, ni même définitives, elles n’ont pas été incorporées au corpus.