3.3.2.3. Un succès limité justifié par une surestimation des besoins pratiques.

Les différentes cartes dérivées du 1 : 80 000 connurent un succès très relatif, à l’exception de l’amplification au 1 : 50 000 en noir. Dans une certaine mesure, je pense d’ailleurs que ce succès limité était une conséquence indirecte des mutations conceptuelles consécutives à la guerre de 1870 : traumatisées par la défaite, les autorités avaient radicalement changé leur conception de la cartographie en insistant sur sa dimension utilitaire. Elles ne mesurèrent pas toujours très précisément l’ampleur véritable des besoins auxquels les cartes devaient répondre, mais surtout elles firent souvent un amalgame entre leur ambition de prestige politique et scientifique et les besoins réellement exprimés. Je trouve le cas de l’amplification au 1 :50 000 en noir très révélateur de cet amalgame : alors que la direction du Dépôt de la guerre suivit à plusieurs reprises et sans succès les avis qui affirmaient que le public voulait des couleurs et des courbes de niveau, ce fut finalement la carte la moins ambitieuse704 qui connut le plus grand succès705, montrant que les besoins les plus pressants concernaient en fait une échelle supérieure et un prix abordable – même si les spécifications ne s’accordaient pas aux cartes étrangères les plus prestigieuses. La publication de cette amplification initialement conçue comme un document de travail ne fut acceptée que parce qu’elle répondait à la demande explicite d’un public nombreux : cette décision témoignait de l’affirmation de la conception utilitariste.

D’une surdité presque totale, la direction du Dépôt de la guerre était ainsi passée à une écoute excessive et biaisée des nouveaux besoins, qui se traduisit par une quantité importante de nouveaux projets cartographiques. Ces nouvelles cartes ne répondaient en fait que partiellement aux besoins exprimés dans des milieux qui, à l’image de celui de l’alpinisme, ne constituaient de toute façon pas encore un marché potentiel suffisant pour assurer le succès d’une telle diversification de la production cartographique. Pour autant, les nombreux projets de cartes dérivées ne furent pas aussi inutiles que peut le suggérer l’abandon successif de la plupart. En plus de répondre à certains besoins très spécifiques, ils servirent également de domaine d’expérimentation pour de nouvelles techniques cartographiques, comme l’utilisation de la couleur ou des courbes de niveau.

Notes
704.

Berthaut pensait qu’elle n’avait « aucune prétention cartographique » et apportait seulement « certains avantages et certaines facilités de lecture ».

Ibid., p. 246.

705.

Au point que jusqu’après la seconde guerre mondiale, elle fut utilisée préférentiellement à la carte au 1 : 80 000 comme fonds topographique dans les différentes cartes françaises, américains et allemandes, des régions françaises qui n’étaient pas encore couvertes par les nouvelles cartes au 1 : 50 000 et 1 : 20 000.