Parallèlement aux deux nivellements successifs, des considérations strictement scientifiques avaient amené le Bureau des longitudes et l’Observatoire de Paris à soutenir bien avant 1870 la révision de la méridienne de France de Delambre et Méchain, dont les erreurs avaient été démontrées après l’achèvement de la triangulation des ingénieurs géographes. Mais les crédits et le personnel qualifié manquaient au Dépôt de la guerre pour mettre en œuvre cette révision : la géodésie n’était plus enseignée aux officiers d’état-major, et les seuls officiers suffisamment compétents pour diriger de telles opérations, les capitaines d’état-major Versigny et Perrier, travaillaient alors à la triangulation primordiale de l’Algérie. La reprise de la méridienne fut finalement proposée au ministre de la Guerre lorsque Perrier, ayant aperçu à l’œil nu les sommets de quelques montagnes espagnoles depuis une station en Algérie, démontra par l’observation qu’il était possible, comme l’avaient déjà envisagé Biot et Arago et prouvé par calcul le colonel Levret, de relier le réseau africain au réseau européen constitué par les jonctions des triangulations anglaise, française et espagnole. Une telle opération permettrait aux scientifiques de disposer d’une chaîne trigonométrique « partant au Nord des îles Shetland, [traversant] l’Angleterre, le Pas-de-Calais, la France, l’Espagne, la Méditerranée et le nord de l’Afrique, offrant un développement de vingt-huit degrés et demi, soit presque le tiers de la distance du pôle à l’équateur. Un vaste champ d’études pour la détermination de la forme de la Terre se [trouverait] ainsi ouvert aux recherches des géomètres ».
Cependant, la jonction de ces triangulations nécessitait une nouvelle mesure de la méridienne de France, « afin que sa précision ne fût pas inférieure à celle des segments anglais et espagnol »711 réalisés plus tardivement. Commencée au printemps 1870 par le capitaine Perrier et deux collaborateurs, les capitaines Penel et Bassot, l’opération fut arrêtée par la guerre, puis reprise à l’automne 1871. La triangulation de la chaîne était achevée en 1888, la mesure des nouvelles bases exécutée entre 1890 et 1891 et les stations astronomiques pour appuyer les calculs entre 1891 et 1892712. La jonction Algérie-Espagne fut réalisée en 1879 par une collaboration entre les géodésiens espagnols et français. Les résultats obtenus se révélèrent beaucoup plus précis et satisfaisants que ceux de Delambre et Méchain, selon les différentes procédures de vérification employées, à la fois parce que les positions avaient été calculées sur l’ellipsoïde de Clarke 1880, jugée plus exacte, et parce que les méthodes géodésiques avaient connu des perfectionnements dans la deuxième moitié du 19e siècle qui avaient été mis en pratique en Algérie et en Tunisie – parmi lesquelles la méthode de la réitération713.
La nouvelle mesure de la méridienne de France avait été effectuée dans un but purement scientifique, sans projet de nouvelle triangulation. De nombreux spécialistes (dont le colonel Berthaut) ne jugeaient pas nécessaire de reprendre la triangulation des ingénieurs géographes ou d’en exécuter une nouvelle pour les levés d’une éventuelle carte au 1 : 50 000. Ils argumentaient que les erreurs de cette triangulation étaient bien connues et qu’elles pouvaient être rectifiées à partir de calculs basés sur les données de la nouvelle méridienne et de quelques corrections locales. Cette position fut unanimement partagée par tous les spécialistes jusqu’aux études sur la réfection du cadastre au début des années 1890.
« Rapport sur les travaux exécutés en 1888 (Section de Géodésie) », cité par BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 284.
Pour un historique plus détaillé, voir : BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 283-291 ; PERRIER Colonel. Mémorial du Dépôt de la Guerre. T.XII. Nouvelle méridienne de France, Première partie. Paris : Imprimerie Nationale, 1885, 230 p. ; BASSOT Général. Mémorial du Dépôt de la Guerre. T.XII. Nouvelle méridienne de France, Deuxième fascicule. Paris : Imprimerie Nationale, 1902, 195 p. (p. 231-426) ; BOURGEOIS Commandant, BERTHAUT Général dir. Mémorial du Dépôt de la Guerre. T.XII. Nouvelle méridienne de France, Troisième partie. Paris : Imprimerie Nationale, 1904, 798 p. (p. 427-1225).
Voir infra, partie 2, chapitre 4.2.2.1.