En 1891, une Commission du cadastre fut créée pour étudier la réfection du cadastre qui n’avait encore jamais été dressé de façon homogène. Elle conclut rapidement que la triangulation des ingénieurs géographes n’était pas suffisamment précise pour servir de base à des levés à très grande échelle : ceux-ci nécessitaient en effet l’établissement de triangulations complémentaires de 4e et 5e ordre qu’empêchait l’impossibilité de stationner sur les sommets de 3e ordre de la triangulation des ingénieurs géographes, qui consistaient en de simples signaux déterminés depuis les stations de 1er et 2e ordre. En accord avec la Commission centrale des travaux géographiques et sous l’influence du général Bassot, nouveau directeur du SGA, la Commission du cadastre s’était donc prononcée pour une réfection de la triangulation de 1er et 2e ordre et la reprise complète du 3e ordre, dont la réalisation confiée au SGA commença en 1898. Ces opérations constituaient une Nouvelle triangulation de la France (NTF), en partie justifiée par des arguments d’un classicisme éprouvé sur la supériorité des nouvelles méthodes géodésiques, qui soulignaient leur « perfection » et leur « degré de précision pour ainsi dire absolu »714.
A la faveur des études sur la réfection du cadastre, de la Noë proposa à nouveau le projet d’une carte de France basée sur des levés à grande échelle. Son soutien constant à ce projet était d’autant plus efficace qu’il était devenu, à la mort du général Perrier en 1888, sous-directeur du SGA, puis directeur en 1894 quand il eut enfin atteint l’ancienneté nécessaire et le grade de général. Le 17 mai 1897, la Commission centrale des travaux géographiques adoptait le projet, dont les grandes lignes étaient ainsi formulées :
‘« 1° La Commission centrale des Travaux géographiques émet le vœu qu’il soit procédé, à bref délai, à l’exécution du levé d’ensemble de la carte de France aux échelles du 10.000e pour les régions de plaine et moyennement accidentées, du 20.000e pour les pays de montagnes ;La Commission centrale des travaux géographiques demanda l’exécution immédiate du projet, avec une répartition annuelle du budget estimé pour sa réalisation afin de « permettre l’achèvement en trente années de l’ensemble des travaux »716.Le 13 juin 1898, le ministre de la Guerre donnait l’ordre d’étudier les modalités de sa réalisation. L’Académie des sciences avait également reconnu le projet et le soutenait dans un rapport présenté au ministère de la Guerre le 14 juin 1899717. Pour ne pas se retrouver dans la même impasse qu’au début du siècle, les opérations de terrain devaient être uniquement effectuées par le SGA, avec les méthodes des levés de précision : la collaboration avec le cadastre n’était envisagée qu’avec beaucoup de précaution et uniquement « si cette entreprise venait à être entamée et dirigée de façon à prêter un utile concours à l’exécution de la carte au 50.000e »718.
Malgré ces réserves, l’adoption et la mise en route du projet de 1897 sont à interpréter, selon moi, comme un signe révélateur de l’inertie des changements conceptuels en cartographie. Alors que les levés de précision se développaient sur un renversement du rapport entre géodésie et topographie, la nouvelle carte de France ne fut acceptée qu’une fois adopté le principe d’une nouvelle triangulation. Surtout, même si la collaboration restait hypothétique, j’estime que le poids de la réfection du cadastre dans cette acceptation montrait comment la dimension utilitaire de la carte restait encore limitée à ses applications fiscales – tout comme l’insistance sur le caractère scientifique de l’entreprise soulignait la prédominance des politiques de prestige. Basée sur des méthodes de levé qui marquaient une évolution considérable de la cartographie719, la nouvelle carte de France restait, dans sa conception initiale, ancrée dans les modèles traditionnels du développement cartographique.
BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit., p. 294.
Cité dans Rapp. SGA 1901, p. 10-11.
Cités dans Le SGA. Op. cit., p. 67.
Rapp. SGA 1901, p. 11.
Vœu de la Commission centrale des Travaux géographiques, cité dans Ibid., p. 12.
Voir infra, partie 2, chapitre 4.