4.2.2. Le retard de la Nouvelle triangulation de la France.

4.2.2.1. La réitération, une nouvelle technique plus efficace.

Bien que présentées comme « parfaites » au début du 19e siècle, les méthodes géodésiques employées pour la nouvelle description géométrique de la France avaient en fait montré certaines limites dans une triangulation générale de grande ampleur778. La géodésie avait donc connu de nouveaux perfectionnements dans la deuxième moitié du siècle, toujours poussés par l’intérêt constant des scientifiques pour la détermination des dimensions de la Terre. Ceux-ci avaient été mis en pratique par les officiers géodésiens du Dépôt de la guerre pour la triangulation primordiale de l’Algérie et de la Tunisie, puis appliqués à la nouvelle mesure de la méridienne exécutée dans le cadre d’une jonction entre les réseaux européens et africains779. L’utilisation de l’ellipsoïde de Clarke 1880, jugée « plus exacte »780, avaient permis d’augmenter la précision de l’ensemble des calculs de la triangulation, alors que l’emploi de signaux héliotropiques781 pour les observations diurnes, puis dès 1875 le recours à des observations nocturnes utilisant des collimateurs optiques782, avaient amélioré la précision des mesures. Mais le principal perfectionnement résidait dans l’emploi de la méthode de la réitération, qui affinait les techniques géodésiques sans toutefois en changer les principes fondamentaux.

La triangulation des ingénieurs géographes avait marqué la généralisation de la méthode de la répétition en France783, mais au cours du 19e siècle, une méthode jugée plus efficace avait été adopté dans d’autres pays européens : la réitération. Introduite et enseignée en France par Faye, membre de l’Institut, elle fut utilisée pour la première fois au Dépôt de la guerre par le capitaine Perrier en Algérie (1861-1869), qui réussit malgré les résistances « traditionalistes » à se faire fabriquer en 1867 un petit cercle azimutal réitérateur.

La méthode de la réitération consistait, comme celle de la répétition, à mesurer plusieurs fois l’angle, mais au lieu d’ajouter ces mesures les unes à la suite des autres sur le limbe et de n’en faire qu’une seule lecture, les mesures étaient effectuées de façon indépendante à partir de différents traits équidistants sur le limbe. Chaque mesure pouvant ainsi être vérifiée, une erreur importante était aussitôt corrigée, alors qu’elle se répercutait sur l’ensemble des mesures avec la méthode de la répétition. De plus, la réitération limitait les mouvements du limbe, d’autant plus que les mesures étaient effectuées alternativement dans un sens puis dans l’autre pour éviter les erreurs d’entraînement. Il en résultait une exécution plus simple et plus sûre, qui permettait une construction moins complexe des instruments et limitait donc les possibilités d’erreurs mécaniques.

Les premiers instruments réitérateurs utilisés en France furent des cercles azimutaux construits par Brunner, d’abord pour les opérations de Perrier en Algérie, puis perfectionnés pour celles de la méridienne de France. Conçus pour des opérations primordiales, ces cercles étaient beaucoup plus simples que les cercles ou théodolites répétiteurs, d’abord parce que la réitération ne nécessitait pas une construction aussi complexe que la répétition, mais aussi parce que pour les opérations primordiales, l’usage avait finalement préféré l’emploi d’instruments spécifiques pour chaque type de mesure. Ces cercles azimutaux ne comportaient donc ni cercle vertical ni cercle horizontal pivotants pour les mesures zénithales qui étaient effectuées avec un théodolite réitérateur. Ce même instrument servait pour les mesures zénithales et azimutales des opérations de 2e ordre. Deux modèles furent successivement employés, le premier construit par Brunner, le deuxième par l’atelier de précision de la section de géodésie du Service géographique de l’armée, décliné en un grand modèle et un modèle de campagne et de reconnaissance, dont le cercle horizontal ne mesurait que 14,5 cm et qui pouvait être transporté à dos d’homme dans une petite boîte de 24 x 36 cm.

Notes
778.

Voir supra, partie 1, chapitre 3.1.2.1.

779.

Voir supra, partie 2, chapitre 3.4.1.2.

780.

Les géodésiens appellent géoïde la surface de référence de la Terre, comprenant le relief. Très irrégulière, elle ne permet pas une manipulation mathématique facile, si bien qu’ils utilisent de préférence une ellipsoïde dont les caractéristiques sont choisies pour qu’elle soit le plus proche possible du géoïde. Le Dépôt de la guerre adopta l’ellipsoïde de Clarke 1880 dit « français » parce qu’il diffère de l’ellipsoïde de Clarke 1880 utilisé en Angleterre. Le taux d’aplatissement admis pour l’ellipsoïde de Clarke 1880 français était de 1/293, contre 1/308 pour l’ellipsoïde utilisé précédemment (l’aplatissement est la valeur (a-b)/a, où a est le grand axe et b le petit axe de l’ellipsoïde).

781.

Signaux réfléchissant et concentrant la lumière solaire.

782.

Les collimateurs optiques étaient formés d’une lampe placée au foyer principal d’une lentille convergente envoyant un signal lumineux avec une très faible dispersion.

783.

Voir supra, partie 1, chapitre 1.4.3.2.