Le désintérêt des scientifiques et des militaires pour les régions montagneuses s’était traduit dans la réalisation du 1er ordre de la triangulation des ingénieurs géographes par un rythme de travail et une méthode totalement inadaptés aux conditions de la haute montagne793. Au contraire, les opérations de la nouvelle triangulation dans les Alpes montrèrent l’évolution considérable du rapport à la haute montagne : non seulement elles pouvaient compter sur une connaissance très nettement accrue des régions alpines, mais la direction du SGA était plus incline à concevoir les difficultés du travail dans de telles régions et accepta facilement les multiples adaptations de la méthode employée sur le reste du territoire que développèrent les officiers géodésiens.
Pour les ascensions, les porteurs étaient pratiquement toujours issus des troupes alpines, mais l’emploi d’un guide était obligatoire. Comme dans l’alpinisme classique, celui-ci faisait autorité pour l’itinéraire et la technique alpine, et porteurs comme officiers devaient lui obéir strictement. La reconnaissance et la construction de signaux étaient autant que possible effectuées en même temps, pour éviter la répétition des ascensions. Mais le mauvais temps retardait souvent les travaux et surchargeait des programmes trop optimistes, qui se trouvaient régulièrement aménagés en fonction des conditions météorologiques, remettant à plus tard ou à l’année suivante les stations impraticables à cause de la neige ou de la brume. La plupart du temps, l’officier principal et l’officier adjoint travaillaient parallèlement sur un même signal, en station haute et en station basse, pour limiter le nombre d’ascensions et profiter du beau temps. Cette organisation spéciale fut maintenue pendant toutes les opérations primordiales dans les Alpes.
Le matériel utilisé était standard : cercle azimutal et théodolite réitérateur pour le 1er ordre, théodolite réitérateur seul pour le 2e et 3e ordre. Mais le transport des instruments posa rapidement des problèmes lors des ascensions à des altitudes supérieures à trois mille ou quatre mille mètres, durant lesquelles les mulets ne pouvaient pas servir. Une boîte à bretelle légère de seulement neuf kilogrammes fut par exemple bricolée par les officiers pour remplacer la boîte réglementaire du théodolite qui pesait quarante-deux kilogrammes794. Seules les techniques de construction furent modifiées par la direction elle-même pour répondre aux difficultés de transport : les piliers de maçonnerie, dont le matériau était trop difficile à acheminer aux signaux, furent remplacés par des piliers démontables spécialement mis au point dans les ateliers du SGA.
L’utilisation des miroirs en des points élevés nécessitait le plus souvent deux hommes, mais les bonnes conditions de lisibilité, liées à l’atmosphère et au relief accidenté, permettaient de se contenter des mires quadrangulaires jusqu’à des distances de soixante-dix kilomètres795. Une fois les ascensions réussies, les visées entre sommets élevés étaient donc relativement faciles. La véritable difficulté technique des opérations en haute montagne résidait en fait dans la détermination des points de 3e ordre dans les vallées, essentiels pour les levés, qui nécessitait de nombreuses stations auxiliaires796 : ces points « répartis sur les sommets et les fonds de vallée, souvent près de l’origine du thalweg de petits affluents, sur les cols et les changements de pente, [rendaient] le travail difficile, long et pénible », mais aussi le « différenciait de tous les travaux primitivement exécutés dans cette région » qui se limitaient aux sommets élevés. Les programmes d’opération se trouvèrent ainsi souvent simplifiés, le nombre de points étant réduit par la nécessité.
Voir supra, partie 1, chapitre 4.1.
Rapp. SGA 1909, p. 8.
Rapp. SGA 1908, p. 2-3.
Rapp. SGA 1909, p. 6.