Dans le projet initial, les 1er et 2e ordre de la nouvelle triangulation ne devaient consister qu’en une réfection de la triangulation des ingénieurs géographes. Le 3e ordre devait par contre être entièrement repris et former ainsi la majeure partie du travail. Mais en plus de la suppression des crédits, les conditions de conservation des signaux obligèrent à refaire une grande partie des opérations de 1er et 2e ordre, dont la réfection se révéla impossible dans de nombreux régions. Les travaux s’en trouvèrent considérablement ralentis, particulièrement pour les opérations de détail (2e et 3e ordre) : elles furent effectuées jusqu’en 1907 en fonction des besoins très limités du cadastre, puis à partir de 1908 uniquement et spécialement en vue de l’établissement de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000. Elles concernèrent donc principalement les frontières de l’est privilégiées pour les levés de précision, et notamment les Alpes du nord.
Pour appuyer la révision des plans directeurs et les nouveaux levés de précision, des triangulations de détail, rattachées à la méridienne de Lyon, furent ainsi exécutées, d’abord dans la région de Grenoble en 1908, puis dans le massif de l’Oisans entre 1909 et 1912, la jonction entre les deux réseaux étant assurée pour le 2e ordre en 1913805. L’extension de la triangulation de l’Oisans vers le sud fut commencée en 1914, mais ralentie par le mauvais temps et interrompue par la guerre, elle ne fut achevée que dans les années vingt. Finalement, ces triangulations de détail ne couvraient pas toutes les zones des Alpes du nord concernées par des levés de précision, notamment dans le massif des Bauges entre Chambéry et Annecy, et dans le massif de la Vanoise. Les brigades géodésiques des années vingt et trente tentèrent de réduire le retard tout en fournissant les données pour les nouveaux levés, en opérant dans les régions de Thonon et de Bonneville (1932-33), d’Annecy et de Chambéry (1934).
Théoriquement, le réseau de détail ne devait donc être « poursuivi qu’en vue de la nouvelle carte de France, au fur et à mesure des besoins de la topographie »806. J’interprète ce changement dans la hiérarchisation des travaux comme une évolution fondamentale de la cartographie topographique : elle ne servait plus seulement à « remplir les triangles » pour tirer partie des travaux géodésiques, pour reprendre la formule de Picard à la fin du 17e siècle, mais elle devenait l’objet principal du service cartographique officiel, auquel étaient annexées des opérations géodésiques toujours fondamentales pour structurer les travaux topographiques, mais perçues dans une perspective nettement plus utilitaire. Les opérations de levés topographiques étaient ainsi affirmées comme l’étape centrale du processus cartographique, au cours de laquelle se construisait véritablement la représentation géométrique du terrain.
Curieuse ironie de l’histoire, parmi les officiers géodésiens qui travaillèrent dans l’Oisans et notamment au Grand-Pelvoux, se trouvait en 1909, 1910 et 1911, un capitaine Durand, semble-t-il sans lien familial avec l’officier géodésien du Dépôt de la guerre. Le silence du SGA sur cette coïncidence confirme d’ailleurs mon hypothèse d’une négation officielle des difficultés des opérations de 1er ordre de la triangulation des ingénieurs géographes – et donc du mérite des officiers géodésiens comme Durant (voir supra, partie 1, chapitre 4.1). Rapp. SGA 1914, p. 8.
ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.2. Op. cit., p. 54.