4.2.4.3. Une représentation géométrique du relief fondée sur des méthodes topographiques.

Dans les levés de précision, les officiers exécutaient le levé de détail à la planchette déclinée pour déterminer la planimétrie (ou la compléter si le cadastre avait pu fournir des réductions) et figurer le relief en courbes de niveau équidistantes. Ils procédaient essentiellement par cheminements et rayonnements à partir de stations sur les points du canevas général, sauf en montagne où le levé se faisait principalement par des relèvements : ce procédé, qui consistait à déterminer graphiquement la position et l’altitude d’un point en traçant sur la minute les directions indiquées par l’alidade, donnait une précision jugée suffisante. Les courbes de niveau étaient filées sur le terrain comme la planimétrie, c’est-à-dire que les officiers les levaient par nivellement direct en les suivant par points successifs quand le cheminement était possible. La méthode du filage en elle-même ne différait pas de celle employée lors des premiers levés en courbes de niveau exécutés par le génie au début du 19e siècle, sauf que les points de base n’étaient pas déterminés par des mesures barométriques mais tachéométriques. Pour les zones inaccessibles, les courbes étaient tracées sur la minute à partir d’un grand nombre de points déterminés par relèvement.

Dans la méthode employée pour les levés de la carte d’état-major, seule la planimétrie était déterminée par intersection graphique ; le figuré du relief se fondait essentiellement sur les seuls points géodésiques, complétés par des observations et de rares mesures d’angles de pente. Au contraire, la méthode des levés de précision déterminait la position et l’altitude de nombreux points par une accumulation de mesures instrumentales ou d’intersections graphiques : points géodésiques des triangulations générales, cotes d’altitude des nivellements, points déterminés au tachéomètre ou à l’alidade holométrique de la triangulation complémentaire et du canevas général, points nivelés sur le terrain lors du filage des courbes ou obtenus par des relèvements toujours plus précis que l’extrapolation effectuée au bureau. La représentation du relief en elle-même ne reposait que sur des points déterminés par des méthodes topographiques. En particulier, les courbes de niveau n’étaient plus seulement extrapolées à partir de points géodésiques, elles étaient filées sur le terrain ou tracées à partir d’intersections graphiques – donc géométriques. En ce sens, les levés de précision marquaient l’adoption d’une représentation entièrement géométrique du relief, basée principalement sur les levés topographiques.

Je considère que la souplesse du rapport qui se mit en place au début du 20e siècle entre les levés de précision et la triangulation sur laquelle il s’appuyait – au point que celle-ci pouvait être intégrée a posteriori – reposait essentiellement sur cette méthode instrumentale de levé de la planimétrie et du relief qui permettait une représentation géométrique relativement indépendante des données géodésiques. Plus encore, en particulier avec son adoption pour les opérations topographiques de la nouvelle carte de France, la méthode des levés de précision achevait une mutation commencée au début du 19e siècle, quand la Commission de topographie de 1802 avait souligné l’impossibilité d’utiliser les courbes de niveau faute de techniques de nivellement topographique efficace. Cette méthode concluait ainsi ce que j’appellerai le siècle de la carte d’état-major : soutenue par l’émergence de la conception utilitariste de la cartographie et de nouveaux regards sur le relief, elle confirmait définitivement l’adoption du paradigme du développement scientifique de la cartographie, fondée sur l’amélioration constante de la mesure instrumentale.