Après la mainmise des militaires sur le projet de carte de France assurée en 1824, la question de l’adéquation de l’échelle employée avec les utilisations potentielles de la carte passa à l’arrière-plan jusqu’à l’émergence de nouveaux besoins et l’affirmation de la conception utilitariste de la cartographie dans la deuxième moitié du 19e siècle. Nous avons vu comment l’échelle du 1 : 80 000 fut alors unanimement critiquée comme insuffisante, pour la plupart des applications industrielles, administratives, scientifiques, touristiques ou militaires – même si elle conservait un intérêt tactique indéniable pour ces derniers. Le développement de nouveaux besoins nécessitant une échelle supérieure se manifesta dans le relatif succès des reproductions de minutes de la carte d’état-major au 1 : 40 000, de l’amplification de la même carte au 1 : 50 000, des différentes cartes indépendantes ou encore des premiers plans directeurs mis à la disposition du public. Alors que la plupart des utilisateurs se contentait encore d’échelles topographiques que je qualifierai de moyennes, certains domaines très particuliers comme l’aménagement industriel, les travaux publics ou le génie militaire exploitèrent des échelles de plus en plus grandes, supérieures ou égales au 1 : 20 000.
Pourtant, il ne semble pas si évident que l’augmentation sensible des échelles soit strictement ou même uniquement liée au développement de ces nouveaux besoins. J’ai déjà montré comment, dans la diversification de la production des services officiels, se mêlaient souvent une réponse à des besoins plus ou moins justement perçus et une volonté de prestige politique ou scientifique827. Une analyse analogue peut être faite pour cette accroissement des échelles. Le succès public des nouvelles publications ne peut justifier à lui seul la nécessité d’échelles plus grandes : entre une carte d’état-major en hachures au contenu non révisé et un plan directeur récent en courbes de niveau filées sur le terrain, le choix ne se limitait pas à une question d’échelle et il manquait d’alternatives. La production cartographique étant limitée, un utilisateur choisissait la publication la mieux adaptée à ses besoins et à ses moyens. A partir de ce constat, il convient de se poser la question des autres déterminants à cet accroissement des échelles.
Voir supra, partie 2, chapitre 3.3.2.