Les premières réunions de la Commission de topographie furent animées par une controverse sur la nature précise des travaux à effectuer. Lors de la première séance, Paul Helbronner se prononça pour une réfection complète de la carte d’état-major dans les régions de haute montagne : jugeant celle-ci inférieure aux cartes étrangères et notamment suisses, il proposait de refaire la triangulation et de confier les levés topographiques à des volontaires, pour lesquels Franz Schrader envisageait la mise en place d’une formation spécifique. Les membres correspondants Maurice Paillon et Henri Duhamel présentèrent un projet analogue lors de la séance suivante, mais avec une certaine confusion dans les termes employés (réfection, rectification, correction, révision). Elle fut radicalement rejetée par Henri Vallot, alors qu’il n’avait précédemment opposé que des réserves sur la forme des propositions d’Helbronner864.
La position soutenue par Henri Vallot avait déjà été ébauchée dans les échanges épistolaires qui avaient mené à la création de la Commission, autour de l’idée, déjà centrale dans sa carte du massif du Mont Blanc, que l’échelle du 1 : 20 000 était la mieux adaptée à la représentation cartographique de la haute montagne :
‘« D’après moi, les levés devraient être faits au 20 000e, une échelle plus petite ne permet pas l’inscription des détails en haute montagne, où deux pics distants de cent mètres sont quelquefois, pour l’alpiniste, à une distance pratiquement énorme. La publication pourrait être faite au 50 000e, mais c’est la plus petite échelle tolérable pour la haute montagne. »865 ’Dès la deuxième séance de la Commission, il formula plus clairement son opinion en l’opposant à la révision ou à la rectification de la carte d’état-major proposée par Maurice Paillon – mais sans aucune référence à la proposition similaire faite par Paul Helbronner :
‘« M. H. Vallot déclare que, pour son compte personnel, il est absolument opposé à cette manière de voir ; selon lui, la carte de l’Etat-Major ne peut être ni révisée, ni corrigée par les alpinistes. Le seul parti raisonnable à prendre consiste à faire table rase de ce qui existe et à refaire du neuf, en s’appuyant exclusivement sur une trigonométrie solide, et en divisant le travail en deux étapes successives [levés simplifiés donnant des points de repère, puis levés de détail], comme il l’a expliqué à la dernière réunion. »866 ’La controverse était fondamentalement faussée. Elle opposait des membres qui ne disposaient absolument pas du même capital d’autorité : d’un côté, des membres permanents systématiquement présents aux réunions, également membres de la section parisienne du club et souvent de la direction centrale, menés par Henri Vallot ; de l’autre côté, des membres correspondants, issus des sections de province (Paillon à Lyon, Duhamel à Grenoble), donc généralement absents des réunions et communiquant par lettres. Le contexte, marqué par la contestation institutionnelle des sections de province menées par celle de Lyon, n’était d’ailleurs pas favorable aux membres provinciaux. Le débat lui-même était dirigé par Henri Vallot, qui en tant que secrétaire de la Commission était à la fois juge et partie : après avoir donné lecture des lettres adressées par les partisans de la révision, en incluant souvent ses propres commentaires critiques, il n’hésitait pas à attaquer ouvertement leur travail afin de souligner les défauts de leur proposition867.
Le résultat était prévisible : le 27 mars 1903, les membres présents à la réunion de la Commission, tous partisans de la réalisation de cartes entièrement nouvelles – y compris Paul Helbronner qui s’était rapidement rallié à l’avis d’Henri Vallot –, décidèrent « à l’unanimité, qu’il [convenait] d’abandonner toute idée de révision ou de rectification des cartes existantes, et que les levés à faire par les alpinistes dans la haute montagne [devaient] comporter des opérations entièrement nouvelles, appuyées uniquement sur les points trigonométriques les plus sûrs de la carte de France, ou sur ceux qui [seraient] déterminés ultérieurement conformément au programme élaboré par la Commission »868.
En particulier, il soulignait la nécessité de commencer par former les volontaires avec des levés topographiques simplifiés (points principaux des cols et des crêtes, reliés par des lignes pour donner un schéma orographique), dans des régions faciles et déjà bien triangulées.
Lettre citée dans MAURY Colonel Léon éd. L’œuvre scientifique du CAF. Op. cit., p. 131.
PV Com. Topo. CAF. Séance du 27 mars 1903, p. 10.
Durant la séance du 27 mars 1903, Henri Vallot souligna lors de la lecture de la lettre de Maurice Paillon les incohérences et imprécisions dans sa conception d’une « révision », puis, comparant une carte au 1 : 50 000 du Mont Pourri dressée par ce dernier à partir des documents existants pour la Revue Alpine (organe de la section lyonnaise du CAF) et une carte du capitaine René Godefroy à la même échelle accompagnant un article de l’Annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné, Vallot conclut à leur différence totale qui montrait les dangers d’une révision de la carte d’état-major – sous-entendant la supériorité et la plus grande « vérité » de la carte de Godefroy. Ibid., p. 10-11.
Ibid., p. 11.