1.2.1.2. La victoire des arguments d’autorité.

Je trouve que ce débat autour des objectifs de la Commission de topographie est très révélateur du fonctionnement interne du Club alpin français, encore dominé par les élites parisiennes qui siégeaient à la direction centrale, particulièrement dans la façon dont tous les arguments techniques plus rationnels – c’est-à-dire moins susceptibles d’être rejetés par des personnes partageant une même culture intellectuelle – furent curieusement évincés au profit de purs arguments d’autorité.

Par exemple, les raisons techniques à la difficulté d’une révision de l’orographie de la carte d’état-major ne furent que brièvement abordées après la décision unilatérale des membres permanents d’exécuter des travaux entièrement nouveaux. Comme Maurice Paillon appelait une nouvelle fois – et toujours par lettre interposée – à la révision de la carte d’état-major, Henri Vallot expliqua en effet, en se référant au récent ouvrage du colonel Berthaut sur la carte de France869, que la révision de l’orographie de cette carte était « une chose irréalisable » au point que les militaires eux-mêmes ne corrigeaient pratiquement que la planimétrie870. D’une façon plus générale, la Commission ne procéda à aucune étude détaillée des différentes cartes dérivées du 1 : 80 000, alors même que ses travaux furent presque systématiquement justifiés par l’infériorité de ces cartes. L’écartement des arguments techniques au profit d’arguments d’autorité, jouant sur le prestige immense de Vallot, de Prudent ou de Schrader, empêcha toute réflexion sur les véritables limites d’une révision de la carte d’état-major. Par exemple, il ne fut à aucun moment discuté de l’éventualité de fonder sur les minutes au 1 : 40 000 en courbes de niveau une révision locale sur le terrain.

Le débat – ou plutôt l’absence de débat – fut définitivement clos lors de la réunion du 10 novembre 1903, alors qu’une lettre de Paillon exprimait à nouveau son point de vue. Dans les comptes-rendus, le sujet fut enterré aussi sèchement qu’autoritairement sous la plume d’Henri Vallot : « il semble, d’ailleurs, à lire la correspondance de notre collègue, qu’il n’ait pas encore bien compris les motifs qui ont dicté à la Commission ses divers résolutions »871. La question de l’orientation des travaux de la Commission ne fut plus jamais abordée par la suite. Dans les faits, les levés topographiques originaux furent très largement majoritaires dans les réalisations des membres : le tableau suivant, dressé à partir d’un comptage des références aux travaux des membres dans les procès-verbaux des séances de la Commission d’avant-guerre (1903-1914), illustre bien cette domination (tableau 9).

Tableau 9 : Répartition des références aux travaux des membres dans les procès-verbaux de la Commission de topographie du CAF, entre 1903 et 1914*.
Type de travaux 1903-1907 1908-1914 Total
             
             
           
             
             
             
             
             
* La date de 1907 constitue une coupure signifiante parce qu’elle correspond à la publication du manuel d’Henri et Joseph Vallot sur les Applications de la photographie aux levés topographiques en haute montagne, complétant le Manuel de topographique alpine (1904) et les Instructions pratiques pour l’exécution des triangulations complémentaires en haute montagne (1904) d’Henri Vallot.

Notes
869.

BERTHAUT Colonel. La Carte de France. T.2. Op. cit.

870.

PV Com. Topo. CAF. Séance du 8 mai 1903, p. 13.

871.

PV Com. Topo. CAF. Séance du 10 novembre 1903, p. 16.