1.2.3.1. Une définition par opposition aux cartes existantes : la critique de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000.

Après une décennie presque entière consacrée à l’application des méthodes topographiques d’Henri Vallot, la Commission de topographie se trouvait au début des années 1910 à l’aube des premières publications des topographes-alpinistes. La méthode « officielle » pour les travaux sur le terrain ayant été largement diffusée, la Commission se pencha donc sur les questions proprement cartographiques. Alors que Robert du Verger venait de dresser la première carte basée sur des levés exécutés selon les instructions de la Commission893, celle-ci se réunit le 8 mai 1912 pour critiquer en détails la première feuille alpine de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 : Tignes (annexe 2, figure 12).

Plus que la carte des Aiguilles de l’Argentière – Massif des Sept-Laux publiée par du Verger (1911, 1 : 20 000), ce furent les critiques adressées à la feuille de Tignes qui définirent ce qu’une « bonne » carte de haute montagne devait être – par la négative, en affirmant ce qu’elle ne devait pas être. Dans une suite de longues études détaillées894, les participants à la séance du 8 mai 1912 soulignèrent ainsi les qualités de la nouvelle carte, parmi lesquels l’échelle plus grande, la meilleure lisibilité, la « bonne » utilisation des courbes de niveau, des couleurs et de l’estompage, mais critiquèrent surtout sévèrement le manque de cotes, la « mauvaise » représentation topographique du terrain, notamment des glaciers et du rocher traité comme un schéma conventionnel, l’insuffisance et les erreurs de la toponymie.

Différentes tendances s’esquissaient au sein des participants eux-mêmes, reflétant des orientations déjà sensibles dans les comptes-rendus des réunions ordinaires de la Commission de topographie. A côté du pôle technique que dominaient Henri Vallot et Paul Helbronner, surtout intéressé aux opérations géodésiques et topographiques elles-mêmes, et du pôle artistique qui, derrière Franz Schrader, se préoccupait principalement de la représentation topographique et des problèmes cartographiques de gravure ou d’impression, se trouvaient un pôle toponymique autour d’Emile Gaillard, d’Henri Mettrier et de Maurice Paillon, et un pôle géographique se focalisant sur le contenu topographique lui-même, avec Robert Perret, René Godefroy et les invités exceptionnels Emmanuel de Martonne et Emmanuel de Margerie. Plus que des divergences, ces pôles exprimaient des différences de compétences et d’orientations. Pratiquement aucun avis contradictoire ne fut d’ailleurs énoncé, même si certains participants défendirent des caractéristiques de détail qui ne furent pas « officiellement » reconnues comme fondamentales par la Commission, à l’image par exemple de l’indication de l’altitude sur les courbes maîtresses dont Henri Mettrier et Paul Girardin regrettaient l’absence sur la feuille du Service géographique de l’armée.

De cet ensemble considérable de critiques et remarques ressortait une position implicite globalement partagée, selon laquelle une « bonne » carte de haute montagne devait répondre à trois exigences fondamentales, qui recouvraient les préoccupations des quatre pôles d’intérêt que j’ai mentionnés :

  • l’intelligence géographique du terrain, et donc sa bonne connaissance par l’opérateur topographe, le dessinateur cartographique et si possible le graveur, qui seule permettait une représentation exacte, cohérente et « vraie » du relief ;
  • une cartographie rationnelle et réfléchie, « scientifique », qui seule permettait d’allier précision et lisibilité, la lisibilité servant la précision ;
  • le respect de la montagne, enfin, qui s’exprimait autant dans la représentation artistique du relief, permettant de conserver la beauté de la montagne, que dans le respect de la toponymie locale.

Notes
893.

Voir infra, partie 3, chapitre 1.3.3.2.

894.

PV Com. Topo. CAF. Séance du 8 mars 1912, p. 3-31.