1.2.3.3. L’affirmation de la tendance scientifique.

Malgré les références flatteuses aux topographes suisses et les louanges adressées à l’expressivité du relief, les deux cartes de Schrader et du Verger différaient sensiblement des chef-d’œuvres de la fin du 19e siècle auxquels elles étaient comparées, sa propre carte du Mont-Perdu de 1874 pour Schrader et la carte de la chaîne du Mont Blanc dessinée par Imfeld en 1895 pour du Verger. Aucune des deux ne comportait les riches dégradés de couleur de la carte d’Imfeld, ni les hachures expressives et détaillées du rocher ou le léger ombrage soulignant le modelé des glaciers de la carte du Mont-Perdu de 1874. Si elles employaient plus de couleurs que les trois ou quatre traditionnelles (noir, bleu, bistre, parfois vert pour la végétation), utilisées par exemple sur la feuille provisoire des environs de Chamonix publiée par les Vallot en 1907, c’était surtout pour mettre en valeur l’orographie, dans une perspective géomorphologique comparable à l’approche géologique qu’adopta un peu plus tard Robert Perret dans sa Carte de la vallée de Sales et du cirque des Fonts (1922, 1 : 20 000) en employant également le violet pour les signes conventionnels donnant la nature géologique des roches. Même les procédés d’estompage, que le Service géographique de l’armée utilisait sur sa carte au 1 : 50 000 pour rehausser l’expressivité du relief – et qui avaient d’ailleurs été peu critiqués lors de la séance du 8 mai 1912 – étaient rejetés pour ne pas nuire à la lisibilité du dessin.

Je pense donc que ces deux premières cartes publiées sous l’autorité de la Commission de topographie marquaient le passage définitif à un mode de représentation moins figuratif, plus géométrique et plus systématique, influencé par la formalisation des théories géomorphologiques et le développement d’une vision plus scientifique de la cartographie. L’œuvre de Schrader m’apparaît exemplaire de ce changement : en quarante ans, sa représentation de la même région avait radicalement changé sous l’impact de son perfectionnement technique et de l’évolution de la cartographie.

Il est difficile de ne pas voir dans cette orientation plus strictement scientifique l’influence encore fondamentale d’Henri Vallot, notamment dans son ambition de voir les membres de la Commission dresser des cartes répondant aux besoins, réels ou supposés, des touristes et des scientifiques. J’estime que le prosélytisme technique qu’il soutenait au sein de la Commission s’appliquait également à l’aspect purement cartographique des travaux. S’il paraissait moins directif dans ce domaine, c’était probablement parce que la période de pleine activité de la Commission elle-même entre 1903 et sa dernière réunion le 26 mai 1914 fut surtout marquée par le développement régulier des travaux de terrain entrepris par ses membres, alors qu’aucune autre carte que celles de Schrader et du Verger ne fut publiée avant la guerre. Sa santé déclinante et l’absence de structure institutionnelle efficace limitèrent l’influence directe d’Henri Vallot après la guerre, mais sa conception de la cartographie se retrouve dans les plus grandes œuvres des topographes-alpinistes – même si les nouveaux travaux entrepris après la guerre s’écartèrent assez significativement de l’ambition d’originalité et de scientificité qu’il prônait.