1.3.2. Le rôle central de la Commission de topographie dans la cartographie indépendante.

1.3.2.1. La place de la Commission dans la cartographie indépendante.

Le tableau suivant donne l’origine et la nature des feuilles de mon corpus publiées entre 1900 et 1940. La seule ligne des totaux montre deux caractéristiques fondamentales de la production cartographique de cette période. Tout d’abord, les publications sérielles des services officiels constituaient une production bien plus importante que celle des organismes indépendants, environ quatre fois supérieure dans la zone couverte par les deux types de cartographie. J’ai déjà souligné cette caractéristique évidente dans la présentation de mon approche méthodologique et de la conception de mon corpus916.

Tableau 10 : Répartition des feuilles du corpus publiées entre 1900 et 1940.
Service officiel Organismes indépendants
  Zone corpus entière Zone couverte par cartes privées Commission de Topographie Autres organismes
Carte dérivée* 6 4 5 7
Carte non dérivée 542 270 47 4
Total 548 274 52 11
* Une carte dérivée est une carte dressée à partir d’autres cartes.

Ensuite, la production des membres de la Commission de topographie occupait une place centrale dans la cartographie indépendante. Si d’autres organismes ou auteurs indépendants publièrent également des cartes ou des croquis topographiques, souvent dans des revues de tourisme ou de géographie, leur visibilité et leur réputation étaient très inférieures, au point qu’une partie de ces œuvres n’a pas pu être référencée dans mon corpus. Parmi les cartes recensées, soixante-trois feuilles (dont quatorze éditions révisées), issues de vingt-six cartes différentes, furent publiées par des organismes indépendants917. Les publications de membres de la Commission en représentaient une grande majorité : cinquante-deux feuilles issues de quinze cartes, soit 82,5 % des feuilles et environ 58 % des cartes918.

La proportion était encore plus importante dans les cartes originales, c’est-à-dire non dérivées d’autres cartes919 : quarante-sept feuilles sur cinquante et un, soit 92 %, et treize cartes sur dix-sept, soit 76,5 %. Ces chiffres montrent une différence radicale de conception. A l’exception de la carte de La Chaîne du Mont Blanc de Barbey, Imfeld et Kurz, qui connut une édition révisée en 1905, les cartes indépendantes extérieures à la Commission étaient essentiellement des cartes touristiques locales à l’ambition topographique limitée. Leurs sources souvent peu claires ne permettent pas de déterminer systématiquement si les données topographiques issues d’autres cartes (généralement officielles) avaient été complétées par des levés ou mêmes des observations locales, mais il apparaît que ce ne fut pas le cas pour la grande majorité.

Les régions couvertes n’étaient pas si différentes entre les cartes des membres de la Commission de topographie et celles des autres organismes indépendants (carte 9). Si les travaux de la Commission concernèrent plus spécialement des massifs de haute montagne, couvrant moins largement les zones de moyenne montagne comme le massif des Bornes ou le Faucigny, la répartition des régions couvertes illustre surtout l’extension du tourisme alpin. Dans les premières décennies du 20e siècle, les deux massifs traditionnellement touristiques du Mont Blanc et des Ecrins restaient bien évidemment dominants, mais la publication de cartes pour des massifs moins prestigieux comme la Chartreuse ou la Vanoise, ainsi que la couverture de zones plus larges dans les anciens massifs touristiques, s’étendant aux massifs avoisinants comme le Champsaur ou le Beaufortain, montrait le développement du tourisme alpin à la recherche de nouveaux « terrains de jeu ».

Si la répartition géographique n’apporte pas d’éléments supplémentaires, j’estime cependant que les chiffres eux-mêmes restent extrêmement révélateurs du rôle central et de l’influence fondamentale de la Commission de topographie dans le domaine de la cartographie indépendante à grande échelle. Son influence était telle qu’elle réussit manifestement à réunir autour d’elle tous les Français qui réalisaient des levés topographiques en haute montagne, que ce soit en qualité de membre ou par des relations privilégiés comme dans le cas des cartes glaciologiques dressées par Flusin, Jacob et Offner. Au cours de son activité, la Commission s’ouvrit d’ailleurs de plus en plus à des travaux qui concernaient des massifs étrangers (De Flotte ou Gentil au Maroc, Gautier en Algérie), et parfois même des régions non montagneuses, souvent réalisés par des membres extérieurs. Des explorateurs qui lui avaient demandé conseil sur les méthodes topographiques furent régulièrement accueillis dans ses séances pour présenter des comptes-rendus de leurs expéditions (Isachsen aux pôles).

Carte 9 : Cartes topographiques indépendantes publiées entre 1900 et 1940.
Carte 9 : Cartes topographiques indépendantes publiées entre 1900 et 1940.
Notes
916.

Voir supra, « Historiographie… », 2.3.4.

917.

Les cartes glaciologiques dressées par Flusin, Jacob et Offner, étaient subventionnées par le Service des forces hydrauliques, mais elles furent dressées en relation étroite avec la Commission de topographie, en employant les méthodes qu’elle prônait, et publiée dans des revues indépendantes. Elles sont pour cela traditionnellement comptées dans les cartes issues de la Commission de topographie, notamment dans L’œuvre scientifique du Club Alpin Français (Op. cit.), un rapprochement que j’ai également effectué.

918.

Les cartes de membres de la Commission étaient les seules cartes indépendantes qui comprenaient parfois plusieurs feuilles (les différentes éditions de la carte du massif du Mont Blanc de Vallot, la carte du massif de la Chartreuse de Buisson), ce qui explique la plus faible proportion de cartes des membres de la Commission que de feuilles.

919.

Les cartes dressées à partir d’autres cartes, mais sur lesquelles ont été ajoutées des itinéraires, sont considérées comme des cartes dérivées. Seules les cartes comportant des données issues de nouvelles opérations topographiques ne sont pas considérées comme telles, par exemple la carte-itinéraire Vallot au 1 : 60 000 qui utilisait les cartes du SGA, mais les complétait à partir de tours d’horizon photographiques.