La plupart des études historiques traitant du développement de la cartographie topographique ou de la Commission de topographie du Club alpin français, des plus anciennes comme celle du colonel Maury aux plus récentes comme celle de Numa Broc, a tendance à résumer l’influence de la Commission à quelques cartes prestigieuses qui connurent un véritable succès d’estime mais ne furent finalement que peu diffusées. Ces cartes et la focalisation de la Commission sur les levés originaux occultent l’importance d’autres réalisations moins ambitieuses, mais répondant à un véritable besoin pratique : des croquis topographiques de régions non couvertes par d’autres levés, des cartes-esquisses ou cartes-schémas reprenant des données d’autres cartes en les complétant par des levés ou des tours d’horizon exécutés sur le terrain, et enfin des cartes entièrement dérivées d’autres cartes, sur lesquelles étaient surimprimés des itinéraires pour excursionnistes ou skieurs. La plus grande partie des ces cartes furent réalisées après la guerre : cet écart manifeste entre les ambitions affichées au début de la Commission de topographie et le développement de ce type de réalisations s’explique essentiellement par le recul définitif de l’excursionnisme cultivé au profit de deux pratiques plus récentes de l’alpinisme, l’une plus orientée vers l’exploit physique et l’autre vers la découverte sans prétention de la montagne921.
Sur les cinquante-deux feuilles publiées par des membres de la Commission de topographie recensées dans mon corpus, la moitié exactement constituait les quatre « grands œuvres » généralement mises en avant : la carte du massif du Mont Blanc d’Henri et Joseph Vallot, la carte des aiguilles de l’Argentière de Robert du Verger, la carte de la vallée de Sales de Robert Perret et la carte du massif de la Chartreuse de Charles Buisson. L’autre moitié était formée d’un ensemble hétérogène de croquis, cartes-esquisses et cartes dérivées. Cette égale répartition en deux ensembles radicalement différents marque le fossé qui séparait les réalisations ambitieuses des topographes-alpinistes les plus compétents et disponibles, de celles plus modestes des topographes-alpinistes qui ne pouvaient consacrer tout leur temps ou leur talent à leurs travaux dans le cadre de la Commission.
Cependant, la réputation supérieure des quatre grandes cartes dressées dans le cadre de la Commission ne doit pas faire sous-estimer l’importance des autres œuvres. Tout d’abord, leur succès public fut souvent largement supérieur, parce que contrairement à ces « grands œuvres », elles répondaient à des besoins plus réels que fantasmés. Ensuite, par leur échelle inférieure et leur réalisation plus rapide, elles couvrirent une surface géographique bien plus importante, portant sur tous les massifs touristiques et reprenant parfois même les régions couvertes par les cartes plus illustres mais peu pratiques (carte 10). Enfin, leur proportion déjà importante dans les activités de la Commission doit être augmentée de tous les travaux de terrain qui ne servirent à dresser aucune carte, qui aboutirent à une carte non publiée ou à la diffusion trop confidentielle pour que je retrouve sa trace, ou encore qui furent réalisés à des échelles sortant de la définition de mon corpus. Les procès-verbaux de la Commission de topographie rapportaient ainsi de nombreux travaux qui ne sont pas traduits par la présence d’une carte dans mon corpus. Paul Girardin, Henri Mettrier, Eydoux ou encore Bernard, exécutèrent par exemple des études glaciologiques détaillées qui, quand elles étaient utilisées pour dresser une carte, donnaient des plans topographiques aux échelles inférieures au 1 : 10 000922. D’autres levés ne connurent pas de traduction cartographique : Richard dans le massif de Belledonne, Engelbach dans le massif des Grandes Rousses, Coutagne aux environs de Pralognan. Ces travaux utilisaient bien les méthodes prônées par Henri Vallot, mais dans la forme simple et expédiée des tours d’horizon photographiques plutôt que dans la forme élaborée et complexe de la restitution photographique923.
HOIBIAN Olivier. Les Alpinistes en France. Op. cit.
Par exemple, Paul Girardin et Henri Mettrier exécutèrent des levés de glaciers par tours d’horizon à la règle à éclimètre et panoramas photographiques : un plan topographique au 1 : 5 00 du glacier des Evettes fut notamment publié dans la Revue de Glaciologie.
Voir infra, partie 3, chapitre 3.2.