Conclusion

L’activité des topographes-alpinistes, qui se développait depuis le dernier quart du 19e siècle, fut institutionnalisée par la création d’une Commission de topographie au sein du Club alpin français en 1903, dans laquelle Henri Vallot imposa rapidement sa conception de la cartographie topographique de haute montagne, centrée sur l’exécution de cartes entièrement originales à grande échelle. A travers un véritable prosélytisme technique, qui se traduisit par la publication de quatre manuels et l’encadrement serré des travaux des membres, Henri Vallot imposa également ses méthodes de triangulation et de levés topographiques afin d’assurer une certaine normalisation de l’activité de la Commission. Après une décennie consacrée à la mise en route de nombreux projets, la Commission affirma sa volonté d’incarner la référence française en matière de topographie de haute montagne. Elle définit un modèle de la « bonne » carte de haute montagne, d’abord par la critique détaillée de la première feuille alpine de la carte de France au 1 : 50 000 en 1912, puis par l’exemple de la carte du Massif de Gavarnie et du Mont-Perdu de Franz Schrader en 1914. Ce modèle, basé sur l’échelle du 1 : 20 000, l’emploi des courbes de niveau et le dessin détaillé du rocher à partir de l’interprétation géomorphologique de la structure du terrain, marquait l’affirmation de l’approche scientifique prônée par Henri Vallot.

Après la coupure de la première guerre mondiale, les années vingt marquèrent l’apogée éditorial des topographes-alpinistes, avec la publication des « grands œuvres » de ses membres les plus éminents et l’achèvement de la triangulation générale des Alpes de Paul Helbronner, qui confirmèrent la place centrale occupée par la Commission de topographie dans la cartographie indépendante des régions montagneuses. Cependant, le prosélytisme d’Henri Vallot n’empêchait pas une profonde dichotomie dans les travaux des membres de la Commission, partagés entre les réalisations prestigieuses des topographes-alpinistes les mieux dotés en compétences techniques et en temps libre et les réalisations plus pragmatiques des topographes-alpinistes moins talentueux ou moins disponibles. Alors que les « grands œuvres » ambitieux et rares connaissaient un formidable succès d’estime mais une diffusion limitée par leur relative inutilité, des croquis topographiques et des cartes dérivées rencontraient un véritable succès auprès des alpinistes dont elles comblaient les principaux besoins. Si le milieu des topographes-alpinistes s’était construit autour de la conception cartographique et des méthodes d’Henri Vallot, il se développa dans les années vingt et trente en complète rupture avec cette conception, dans une application de ces méthodes limitées à leurs expressions les plus simples. Finalement, le déclin de l’excursionnisme cultivé, l’essor de nouvelles disciplines scientifiques et de nouveaux loisirs pour les élites fortunées, participèrent au déclin de l’activité des topographes-alpinistes, qui ne fut plus représentée jusqu’à la fin des années quarante que par les publications tardives d’anciens membres vieillissants de la Commission d’avant-guerre, toutes basées sur des travaux menés avant les années trente. Mais ce déclin fut surtout précipité par l’investissement croissant du SGA dans les Alpes, qui procédait fondamentalement d’une opposition structurelle entre les cartographies officielle et indépendante, fondée sur la dimension politique et symbolique de l’acte cartographique lui-même.