Au début du 20e siècle, la cartographie indépendante des régions montagneuses françaises – et particulièrement des Alpes du nord – se structura autour de la Commission de topographie, créée au sein du CAF en 1903. La production cartographique officielle se trouva ainsi confrontée à une concurrence organisée et institutionnalisée qui, sous l’influence d’Henri Vallot, adopta une orientation et des méthodes quasi-professionnelles relativement proches de celles du SGA. Cette concurrence constituait une situation originale dans l’histoire de la cartographie : depuis le 17e siècle, la discipline avait été dominée par une production officielle pour laquelle la carte, avant d’être un outil administratif, militaire et scientifique, restait surtout une réalisation de prestige, appuyant symboliquement le contrôle régalien du territoire par le pouvoir central934. Malgré la proximité idéologique et les relations institutionnelles et personnelles privilégiées entre le SGA et la Commission de topographie du CAF, la nature profondément symbolique de la carte instaurait une opposition structurelle fondamentale, qui se traduisit par un surinvestissement du SGA dans les Alpes – une région pourtant déjà bien cartographiée depuis plusieurs décennies en raison des tensions frontalières récurrentes. Cette opposition se transforma en une véritable vampirisation des travaux des topographes-alpinistes par le service officiel, en même temps que ce dernier mettait en place une production adaptée à leur besoin pour éviter la résurgence d’une topographie indépendante aussi développée.
Sur le pouvoir politique et symbolique de la carte comme appropriation du territoire, voir HARLEY John Brian. Déconstruire la carte. Op. cit. ; HARLEY John Brian. Cartes, savoir et pouvoir. Op. cit.