Aucun des deux organismes n’envisagea jamais officiellement leurs relations sous la forme d’une opposition structurelle, mais je la considère pourtant comme le moteur essentiel de l’évolution de ces relations entre 1910 et 1930. Deux facteurs la rendaient plus aiguë encore. Tout d’abord, par son organisation et son ambition, la Commission de topographie constituait une alternative à la cartographie officielle beaucoup plus importante que toutes les autres initiatives de cartographie indépendante. Mais surtout, sous l’influence normalisatrice d’Henri Vallot, elle adopta une approche technique de la topographie dangereusement proche du service officiel qui ne faisait qu’accentuer la concurrence tacite entre les deux organismes.
Le Service géographique de l’armée et la Commission de topographie défendaient deux visions différentes de la cartographie topographique de haute montagne, liées à des besoins divergents, et reconnaissaient chacun la spécificité de la vision de l’autre. Mais le développement de rapports de plus en plus étroits entre les deux organismes illustrait une proximité implicite que souligne bien René Siestrunck : les topographes officiels et les topographes-alpinistes avaient un langage commun, publiaient des articles sur leurs travaux respectifs dans les mêmes revues, se citaient mutuellement dans leurs manuels948. Les militaires avaient d’ailleurs participé à la formation des topographes-alpinistes, soit par leur encadrement sur le terrain, comme le colonel Prudent dans les Pyrénées949, soit par des articles d’initiation à la topographie publiés dans les revues d’alpinisme, comme les textes du colonel Goulier pour l’Annuaire du Club Alpin Français 950.Sous l’influence du prosélytisme technique d’Henri Vallot951, l’effort de normalisation des méthodes employées par les topographes-alpinistes avait accentué la proximité entre ceux-ci et les topographes militaires, par l’utilisation de certains instruments et procédés communs.
SIESTRUNK René. Tourisme, patriotisme et topographie. Op. cit., p. 346-347.
Voir supra, partie 2, chapitre 2.2.2.2.
Il écrivit trois articles importants : GOULIER Colonel Charles Moyse. Etude sur la précision des nivellements topographiques et barométriques. Annuaire du Club Alpin Français, 1879, p. 597-658 ; GOULIER Colonel Charles Moyse. Notions de topographie pour les alpinistes. Annuaire du Club Alpin Français, 1882, p. 643-661 (ce texte détaillait des méthodes très simples comme l’emploi du carton à bretelles avec la boussole-pince, de l’alidade nivelatrice, etc.) ; GOULIER Colonel Charles Moyse. Comment il faut plier les cartes pour les consulter commodément sur le terrain. Annuaire du Club Alpin Français, 1882, p. 623-642. Ce dernier texte, loin d’être anecdotique, présentait les méthodes pour adapter à une pratique de terrain, qu’elle soit militaire ou alpiniste, des cartes qui étaient vendues à plat. Il constitue d’ailleurs un exemple révélateur de la mutation de la cartographie d’une conception fixiste de la carte comme illustration, diffusée de la même façon qu’une gravure, à une conception utilitariste, adaptant la carte à des utilisations de terrain en la pliant, la cousant sur tissu, etc.
Voir supra, partie 3, chapitre 1.2.