2.1.2.3. La guerre de montagne et le rapprochement des besoins militaires et alpinistes.

La proximité entre les deux organismes était encore accentuée par un investissement qui répondait en grande partie aux mêmes besoins. Tous deux déploraient le « retard » de la topographie alpine française par rapport aux cartes suisses ou aux opérations effectuées dans les régions moins accidentées de la France. Surtout, le développement de cette topographie alpine s’inscrivait dans une même dynamique de découverte et d’ouverture de la haute montagne. L’accroissement de la connaissance scientifique de ce milieu dont se réclamait la Commission avait été le moteur et l’instrument du développement de l’alpinisme, qui, par l’exploration systématique des hautes régions des Alpes et l’amélioration des techniques alpines, avait lui-même été à l’origine de l’ouverture de ces régions à l’intérêt militaire.

En effet, alors que la haute montagne avait été pendant longtemps considérée par les militaires comme un terrain inaccessible et donc inintéressant, les tensions frontalières franco-italiennes entre 1882 et 1896 – date où la Triple alliance fut désamorcée par l’accord secret garantissant la non intervention de l’Italie en cas de guerre franco-allemande – entraînèrent la création et le développement des troupes de montagne. Dès la fin du 19e siècle, des rapprochements fructueux entre alpinisme et armée étaient opérés : ainsi, les troupes du 159e Régiment d’infanterie alpine de Briançon adoptèrent par exemple le ski comme mode de déplacement sous l’influence du capitaine Clerc et d’Henri Duhamel, membre du CAF et de la Commission de topographie, et grand promoteur du ski en France952. Mais les rapports entre armée et alpinisme se développèrent surtout après la première guerre mondiale, durant laquelle les affrontement dans les Dolomites avaient marqué l’apparition de la guerre de montagne, menée par des troupes récemment créées comme les Alpini italiens et les Alpintruppen austro-allemandes, qui alimentèrent ensuite l’essor d’un alpinisme nationaliste dans ces pays953.

L’investissement de la haute montagne par les militaires nécessitait une cartographie détaillée pour la construction de fortifications, la mise en place d’une défense systématique des frontières montagneuses, la préparation des tirs d’artillerie sur carte qui s’était développée pendant la première guerre mondiale954. Accentués par l’adoption des levés de précision pour la nouvelle carte de France, ces nouveaux besoins ne différaient que peu, dans leur traduction cartographique, de ceux exprimés par les alpinistes. Dans un article consacré aux travaux du SGA dans les Alpes, le chef de bataillon Gendre présentait explicitement cette nouvelle perception de la haute montagne par les topographes militaires :

‘« Vers 1900, les conceptions se modifient. Le 20.000e dans les Alpes, comme le 10.000e dans les autres parties du territoire, doit devenir la base de la nouvelle carte de France au 50.000e, carte dont toutes les parties, la montagne comme la plaine et les régions moyennement accidentées, doivent présenter la même valeur relative. De plus, la haute montagne commence à être parcourue et mieux connue même dans ses parties jugées jusqu’alors inaccessibles. On entrevoit déjà la nécessité de sa reproduction plus détaillée et plus fidèle, non seulement pour faciliter l’exploration alpine et ses conséquences, les études scientifiques, géologiques, glaciologiques, botaniques, économiques, etc., mais aussi en se plaçant au point de vue militaire. On a été ainsi amené à transformer progressivement les levés expédiés des Alpes en levés de précision ; le topographe a dû pénétrer plus profondément dans le massif rocheux et le rédacteur de la carte chercher une formule rationnelle de figuration du rocher. »955
Notes
952.

MESTRE Michel. Histoire de l’alpinisme. Op. cit., p. 62.

953.

Ibid., p. 74-77.

954.

Voir supra, partie 2, chapitre 3.4.3.1.

955.

GENDRE F. La feuille de « La Grave » de la carte au 20.000e. La Montagne, octobre 1926, vol. 22, 195, p. 250.