2.2.1. La couverture cartographique des Alpes par le SGA.

2.2.1.1. L’avancement de la carte de France jusqu’à la deuxième guerre mondiale.

Malgré l’acceptation du projet en 1897, les restrictions budgétaires imposées par le parlement à la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 avaient considérablement limité l’avancement des travaux que le Service géographique de l’armée réalisait en autonomie financière presque complète956. En 1914, seules quarante-deux feuilles sur plus de mille cent avaient été publiées, à un rythme annuel d’environ trois ou quatre publications. La première guerre mondiale accentua singulièrement le retard des travaux, non seulement parce que la récupération de l’Alsace-Lorraine augmentait le territoire à couvrir, mais aussi parce qu’une grande partie du front levée pendant la guerre avait été si profondément modifiée par les affrontements que de nouveaux levés s’avéraient indispensables.

Après la réorganisation du SGA, les travaux de terrain ne reprirent véritablement qu’en 1921, à un rendement comparable, quoique légèrement inférieur, à celui de 1914. Même si la guerre avait marqué l’ouverture du SGA à des activités non cartographiques, les nouveaux besoins apparus pendant le conflit avaient démontré l’intérêt militaire des levés de précision et entraîné la focalisation du service sur les travaux de la carte de France. Le colonel Bellot, nouveau directeur du SGA depuis 1919, chercha donc des solutions pour en accélérer la réalisation. Du côté administratif, il développa une stratégie de « lobbying », marquée par la publication d’un ouvrage intitulé La Nouvelle Carte de France qui reprenait l’argument classique du retard cartographique de la France sur les autres nations européennes, alors qu’elle avait été à l’origine de la cartographie topographique moderne avec la carte d’état-major957. Cet effort de vulgarisation aboutit à un nouveau projet de loi demandant les crédits nécessaires à la réalisation de la carte dans un délai raisonnable : le plan de financement s’étendait sur seulement vingt-cinq ans, entre 1924 et 1948. Soutenu par la plupart des ministères intéressés, le projet ne fut une nouvelle fois même pas présenté au parlement, puisque dans la perspective d’élections législatives difficiles, le ministre des Finances du gouvernement Poincaré avait refusé de le signer en avril 1924.

L’augmentation de crédits s’avérant à nouveau impossible, il ne restait pour accélérer la publication de la nouvelle carte de France que des solutions techniques. De ce côté, le colonel Bellot avait déjà engagé en 1920 une réforme des spécifications de la carte pour raccourcir l’étape de rédaction cartographique, en même temps qu’il envisageait la publication directe des plans directeurs sous la forme d’une carte de France au 1 : 20 000. Ses propositions, acceptées en 1922, donnèrent naissance aux cartes au 1 : 50 000 et au 1 : 20 000 type 1922, version simplifiée remplaçant le type 1900 958 . Jusqu’alors les minutes de levés au 1 : 20 000 n’étaient reproduites qu’à la demande, en monochromie, tout comme les anciens plans directeurs, mais la nouvelle carte au 1 : 20 000 fut éditée en trois couleurs. A partir de 1923, elle était officieusement considérée comme la véritable carte de base du territoire pour laquelle les levés étaient effectués. Même si elle restait officiellement la référence, la carte au 1 : 50 000, dressée parfois à partir des minutes des levés, parfois directement à partir des coupures au 1 : 20 000, devenait dans la pratique un dérivé de la carte au 1 : 20 000.

Bellot avait aussi commencé à faire expérimenter l’emploi de l’échelle du 1 : 20 000 dans des régions non montagneuses : les levés devenaient plus délicats d’un point de vue technique, mais le rendement était effectivement à peu près doublé, si bien qu’« il fut donc décidé, en 1927, d’étendre à toutes les régions moyennement accidentées la méthode jusqu’alors réservée aux zones de haut relief »959. Parallèlement, le Service géographique de l’armée prenait le pari de miser sur le développement des nouvelles techniques de levés photographiques terrestres et aériens qui devaient permettre, une fois perfectionnées et bien établies, de faciliter et d’accélérer les levés topographiques960. Dans les faits, Le développement de ces techniques permit effectivement d’augmenter un peu la surface levée annuellement, qui resta très faible au début des années vingt puis s’accrut assez régulièrement. En 1935, pour accélérer encore les travaux, Bellot décida de séparer la réalisation des deux cartes de France : la carte au 1 : 50 000 pouvait dès lors être dressée directement à partir des photographies aériennes prises au 1 : 30 000 puis au 1 : 40 000, alors que les levés de précision au 1 : 10 000 et 1 : 20 000 n’étaient exécutés que dans les régions particulièrement intéressantes, comme les Alpes.

Malgré toutes ces mesures, l’insuffisance des crédits et les nombreux nouveaux travaux entrepris après la guerre limitèrent le rythme de réalisation de la carte de France : en 1939, le rendement atteint ne permettait toujours pas de prévoir l’achèvement de la carte avant cent cinquante ans961. Mais contrairement à la majeure partie du territoire pour laquelle n’existait encore que la seule carte d’état-major, la région des Alpes du nord avait été couverte entre 1880 et 1940 par de multiples levés et révisions, témoignant du surinvestissement de la région par le SGA.

Notes
956.

Voir supra, partie 2, chapitre 3.4.2.1.

957.

La Nouvelle Carte de France. Op. cit., 125 p.

958.

Voir infra, partie 3, chapitre 4.

959.

ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.2. Op. cit., p. 56.

960.

Voir infra, partie 3, chapitre 3.

961.

ALINHAC Georges. Cartographie ancienne et moderne. T.2. Op. cit.,, p. 58.