Bien que les spécialistes s’accordent pour dater des années 1880 la fixation de la méthode topographique dite « classique » sous l’influence du colonel Goulier, mes précédentes analyses montrent qu’elle connut en fait une évolution plus lente dans les Alpes, depuis le « flou » méthodologique des premiers levés de précision alpins à la fin des années 1870 jusqu’à la formalisation des levés à grande échelle pour la nouvelle carte de France au 1 : 50 000 dans la première décennie du 20e siècle. La représentation plus géométrique du relief que permettaient les levés de précision ne se généralisa donc dans les Alpes qu’au début du 20e siècle, quand les levés eux-mêmes furent exécutés avec une nouvelle rigueur. Si les minutes antérieures restaient parfaitement utilisables pour les besoins militaires auxquels répondaient directement les plans directeurs, leur hétérogénéité était problématique pour la réalisation de la nouvelle carte de France. Les anciens levés furent donc révisés sur le terrain et harmonisés avec leurs extensions nouvelles, selon des principes formalisés et exposés en 1901978. Pour garantir la cohérence entre les opérations de levé, menées par la section des levés de précision, et de révision, menées par la section de topographie, une direction commune fut assurée entre 1900 et 1908 par le lieutenant-colonel du génie Romieux. En 1909, la révision des plans directeurs fut dirigée par la section des levés de précision, passée sous la direction du chef de bataillon du génie Talon, avant que la section entière ne soit intégrée à la section de topographie en 1910, formant les brigades de levés aux grandes échelles979.
Dans les Alpes du nord, la révision des plans directeurs les plus anciens fut exécutée en 1907 et 1908, la première année par deux brigades de six officiers opérant l’une en Tarentaise, l’autre en Maurienne980, et la deuxième année par une brigade de sept officiers981 (carte 16). Selon la méthode fixée en 1901, les officiers réviseurs utilisaient sur le terrain des amplifications par héliogravure au 1 : 10 000 des levés au 1 : 20 000. Ils devaient s’attacher à harmoniser les conventions cartographiques, en particulier les signes conventionnels, avec les spécifications de la nouvelle carte de France au 1 : 50 000, et pour cette raison, ils étaient spécialement sélectionnés pour leurs compétences de dessinateur. La révision ne concernait comme d’habitude que les données planimétriques, mais dans les Alpes, les opérations soulignèrent certaines faiblesses de la représentation du relief, notamment dans la représentation des rochers et des glaciers, qui tenaient à la fois des signes conventionnels employés et de l’expression de la mise à l’effet. Les officiers réviseurs furent donc également chargés de fournir également des indications pour améliorer cette représentation. Les nouvelles données du cadastre (tracés des ravins, nouveaux chemins) obligèrent aussi à retoucher en de nombreux points le figuré du terrain : ces modifications étaient exécutées uniquement par les chefs de brigade, topographes plus compétents982.
Mais les plans directeurs anciens n’étaient pas les seuls à être critiqués pour leur représentation du relief. L’emploi de la méthode expédiée ou l’application insuffisante des opérateurs pour le figuré du relief dans la méthode régulière nécessitèrent une révision spéciale, dite « révision des Alpes » et particulièrement active entre 1927 et 1929 (carte 16), qui concernait également la topographie et la mise au point des massifs dont la représentation manquait de détails. Au début des années trente, certains topographes reconnus pour leur habileté au dessin furent aussi chargés de réaliser des « calques de rocher », qui consistaient en une nouvelle représentation des zones rocheuses effectuée sur papier calque et apposée sur les minutes de levés. Dans les dossiers topographiques que j’ai consultés à la cartothèque de l’IGN, de nombreux calques sont anonymes et d’autres manquent, mais sur ceux portant une signature, les noms qui reviennent le plus souvent – pour la zone de mon corpus – sont ceux des adjudants Robert Tiercin ou Marcel Mourand. Parallèlement, la révision des Alpes s’attacha aussi à la toponymie, qui avait été peu développée sur les levés du cadastre pour les zones inaccessibles et avait connu des changements importants avec le développement du tourisme. Dans ce domaine, le Service géographique de l’armée demanda ponctuellement l’aide de la Commission des travaux scientifiques du CAF créée en 1923983.
Rapp. SGA 1901, p. 12-13.
Rapp. SGA 1910, p. 29.
Rapp. SGA 1907, p. 24.
Rapp. SGA 1908, p. 24.
Rapp. SGA 1907, p. 25.
Voir infra, partie 3, chapitre 2.3.2.2.