2.3.3. Le rôle du SGA dans le déclin de l’activité topographique des alpinistes.

2.3.3.1. Une collaboration asymétrique limitant le domaine de compétence des topographes-alpinistes.

Je trouve que le rapprochement du SGA et de la Commission des travaux scientifiques du CAF sur la question de la toponymie est particulièrement représentatif de la conception asymétrique dans laquelle se développait leur collaboration : la Commission se voyait comme la référence française en matière de cartographie alpine, mais le SGA ne reconnaissait véritablement cette autorité que pour les domaines touchant à la connaissance érudite du terrain, dans laquelle l’avis de la Commission était systématiquement pris en compte. Pour les domaines plus techniques du levé topographique ou de la géodésie, soit le SGA ignorait presque entièrement les travaux des topographes-alpinistes, soit il les utilisait avec beaucoup de précaution, comme dans le cas de la triangulation de Paul Helbronner dont les résultats furent d’abord exploités en simple complément pour aider à la vérification des canevas graphiques, avant d’être intégrés au canevas général après qu’ils eurent démontré leur précision et que le retard de la nouvelle triangulation se fut confirmé. L’élection du lieutenant-colonel Noirel, officier chargé à la direction du SGA des relations avec le CAF997, à la direction de l’éphémère sous-commission de topographie constitue une autre preuve de la nature asymétrique de la collaboration mise en place entre les deux organismes.

Le cercle déjà restreint des topographes-alpinistes connaissait au même moment une érosion de son recrutement due à des raisons exposées plus haut998 : déclin de l’excursionnisme cultivé, essor de nouvelles disciplines scientifiques, nouveaux loisirs des élites cultivées. En accentuant l’orientation érudite des travaux topographiques de la Commission des travaux scientifiques, le SGA participa à une réduction significative du domaine de compétences des derniers topographes-alpinistes : dès le milieu des années vingt, à l’exception des publications tardives des membres vieillissants de la Commission d’avant-guerre, l’essentiel de l’activité topographique de la nouvelle Commission se concentrait sur les questions toponymiques. Cependant, l’adhésion des derniers topographes-alpinistes au modèle ancien de l’excursionnisme cultivé, qui cherchait avant toute chose à accroître la connaissance des montagnes, leur faisait considérer de façon extrêmement positive leur relation avec le SGA, comme en témoignait par exemple Robert Perret :

‘« Les bonnes relations qui avaient été inaugurées avec le Service Géographique de l’Armée, dès 1902, grâce à la participation du Commandant Bourgeois, ont continué et sont devenues plus intimes encore, s’il est possible, par suite de l’extrême largeur de vues, de la parfaite loyauté, du grand esprit de justice, qui anime le Directeur actuel du Service, le Colonel Bellot. Ce dernier a bien voulu prendre l’avis de la Commission sur les questions relatives à la nomenclature des hautes régions des Alpes, tenir compte des avis présentés sur le problème de la représentation du rocher, prendre connaissance d’un rapport concernant l’exécution et la rédaction de la nouvelle Carte de France. Certes, la Commission possède ses objectifs propres, qu’elle ne doit point négliger : mais elle sera toujours prête à mobiliser le contingent de ses recherches, en vue du bien commun. Sa politique est une politique d’alliance. »999
Notes
997.

BROC Numa. La montagne, la carte et l’alpinisme. Op. cit., p. 116.

998.

Voir supra, partie 3, chapitre 1.1.3.

999.

PERRET Robert. Notes de M. R. Perret. Op. cit., p. 142.