3.2.1. Ambition d’originalité et désir de contrôle, les raisons implicites du choix des Vallot.

3.2.1.1. Un choix initial par élimination.

En 1890, quand les cousins Henri et Joseph Vallot décidèrent de dresser une carte entièrement nouvelle du massif du Mont Blanc1038, ils se proposaient de lever « les parties les moins accessibles […] à l’aide de l’orographe Schrader, ainsi que par les procédés photographiques imaginés par le colonel Laussedat, dans les régions où cette méthode [paraîtrait] avantageuse »1039, des procédés qu’ils affirmaient avoir déjà « mis à l’épreuve à l’occasion d’un avant-projet de chemin de fer souterrain entre les Houches et le Mont-Blanc »1040. Cependant, je considère que leur hésitation, ainsi que la brièveté des références aux levés photographiques, témoignaient d’une connaissance encore limitée de cette méthode très peu diffusée parmi les topographes français et qui n’avait d’ailleurs encore jamais été expérimentée en haute montagne.

Leur choix s’effectua en fait par l’élimination successive des techniques envisagées, lors de ce qu’ils appelèrent les « essais et […] tâtonnements »1041 de 1890-1892 et des premiers levés réguliers en 1893. Pour représenter les régions inaccessibles à la méthode classique de la planchette déclinée, leur ambition scientifique leur imposait d’adopter une méthode de levé indirect qui puisse s’accorder avec le degré de précision des levés directs : les méthodes des vues perspectives dessinées à la main ou des intersections graphiques effectuées sur le terrain à la règle à éclimètre furent donc rejetées. Il leur fallait également une méthode susceptible d’être utilisée avec précision pour des visées lointaines : l’orographe de Schrader fut donc également rejeté, parce que dans des dimensions compatibles avec les conditions de travail en haute montagne, il ne permettait pas, selon les Vallot, d’effectuer des visées à plus de trois mille mètres à l’échelle du 1 : 20 0001042. Il ne restait donc que la photographie, dont ils confirmèrent le choix en 1894, en même temps qu’ils énonçaient les arguments rationnels censés le justifier : « c’est dans les procédés photographiques que nous avons cru trouver les conditions de rapidité, de fidélité et de précision qui nous étaient nécessaires »1043.

Notes
1038.

Voir supra, partie 2, chapitre 2.3.2.

1039.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Note sur la carte. Op. cit., p. 10-11.

1040.

VALLOT Charles. Un portrait du Mont-Blanc. Op. cit., p. 100.

Le projet fut naturellement abandonné ; il s’accordait d’ailleurs mal avec l’idéologie du respect de la montagne et du mérite de sa découverte développée au Club alpin français.

1041.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Note sur la carte. Op. cit., p. 12.

1042.

L’orographe avait classiquement un plateau de trente-deux centimètres, mais « la forme abrupte et souvent inaccessible des versants montagneux [obligeait] généralement à exécuter le levé du détail depuis le versant opposé de la vallée, c’est-à-dire à une distance de 5,000 à 6,000 mètres, quelquefois même supérieure » ; or, au 1 : 20 000, les visées possibles sans trop d’erreurs de dessin étaient limités à trois milles mètres avec l’orographe, ou il aurait fallu utiliser un plateau de dimensions doubles peu pratique en haute montagne. Cependant, ce dernier argument était particulièrement spécieux, puisqu’en 1893, juste après l’abandon de l’orographe, Joseph Vallot opéra avec un photothéodolite Laussedat très encombrant (il produisait des clichés au format 24 x 30 cm), que Charles Vallot qualifia rétrospectivement de « monument offert au vent des cimes ». VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Deuxième note. Op. cit., p. 4-5 ; VALLOT Charles. Un portrait du Mont-Blanc. Op. cit., p. 99.

1043.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Deuxième note. Op. cit., p. 5.