3.2.2. La longue mise au point de la méthode Laussedat-Vallot.

3.2.2.1. Un nouvel instrument : le phototachéomètre.

En 1894, en même temps qu’ils confirmaient leur choix de la méthode des perspectives photographiques, Henri et Joseph Vallot précisaient que « la photographie [était] un art trop nouveau pour que [ils aient] pu l’appliquer sans tâtonnements à une région aussi difficile que celle du Mont-Blanc, surtout eu égard à ce fait que l’instrument adaptable à cette région n’existait pas »1055. En effet, leurs premières expérimentations de levés photographiques avaient été menées en 1893 avec un photothéodolite Laussedat de focale 400 mm, produisant des clichés pelliculaires au format 24 x 30 cm, qui s’était révélé totalement inadapté aux conditions d’opération en haute montagne, principalement à cause de son poids et d’une instabilité liée à sa grande taille – Charles Vallot le qualifia plus tard de « monument offert au vent des cimes »1056. Henri Vallot lui reprochait également un manque de précision et d’amplitude, c’est-à-dire d’angle de champ. Le capitaine Javary avait lui-même arrêté de l’utiliser dans ses derniers levés d’essai, pour les mêmes raisons d’encombrement et d’imprécision goniométrique.

Au cours de l’hiver 1893-1894, Henri et Joseph Vallot mirent donc au point un nouvel instrument dérivé du photothéodolite, qu’ils nommèrent phototachéomètre 1057. Ils le décrivirent pour la première fois dans leur deuxième note sur la carte du massif du Mont Blanc, publiée dans l’Annuaire du Club alpin français de 1894. Il s’agissait d’un théodolite à cercle azimutal répétiteur sur lequel pouvait s’adapter soit une alidade holométrique pour la triangulation, soit une chambre 13 x 18 cm de focale 150 mm pour le levé photographique :

‘« basé sur le principe, préconisé par le colonel Laussedat, d’une perspective figurée sur un tableau plan vertical, […] cet appareil est essentiellement composé de trois parties : la première est la base de tout instrument géodésique, comprenant triangle, niveau, déclinatoire et cercle horizontal divisé permettant d’apprécier le centigrade et de répéter les angles [un cercle azimutal répétiteur] ; la seconde, qui peut se fixer à volonté sur la première, n’est autre que l’éclimètre holométrique du colonel Goulier, avec lunette grossissant douze fois, et réticule divisé, permettant de mesurer les angles zénithaux à un centigrade près et de se servir de l’instrument avec une stadia [une alidade holométrique] ; il remplit donc à la fois le rôle de théodolite (pour la triangulation de la région intraglaciaire) et de tachéomètre. La troisième partie, qui, pour les opérations photographiques, peut se substituer à l’éclimètre, est une chambre noire entièrement métallique, construite en aluminium, et donnant des clichés de 0,13 m sur 0,18 m. Elle est à foyer fixe, et porte un objectif de 0,15 m de longueur focale [une chambre photographique 13 x 18 cm de focale 150 mm] ; celui-ci, monté à baïonnette, peut prendre, sur une même verticale, trois positions différentes, qui permettent de déplacer la ligne d’horizon de telle sorte que les pics les plus élevés puissent être mis en plaque, aussi bien que les fonds les plus bas. Un dispositif spécial divise automatiquement le panorama en sept plaques.
Cet appareil est d’une grande stabilité, et peut même être employé par un vent assez fort ; il se place sur un pied articulé très robuste, pourvu de la calotte sphérique du Génie, qui rend très rapide la mise en station. La dimension restreinte des clichés permet, sans emporter une charge excessive, d’employer des plaques de verre, qui donnent plus de garantie de précision que les pellicules. La grande finesse des épreuves autorise à prendre des mesures sur le verre par transparence, sous un grossissement d’au moins deux fois, ce qui correspond à 0,30 m au moins de foyer, et autorise à faire usage du levé photographique jusqu’à une distance de 6 000 à 8 000 mètres. »1058

Le phototachéomètre, son pied, la caisse de transport et les trente-six plaques prévues pour une journée de travail pesaient dix-huit kilogrammes, une charge raisonnable par rapport au photothéodolite Laussedat ou à certains instruments utilisés par le Service géographique de l’armée. Grâce au développement des techniques photographiques, les prises de vues sur le terrain étaient beaucoup moins problématiques dans les années 1890 qu’au moment des premiers essais de Javary dans les années 1860. En particulier, les procédés à plaques et même à films étaient devenus très fonctionnels, et les formules optiques limitaient suffisamment les déformations. Au niveau des instruments topographiques, les cousins Vallot profitèrent également des progrès effectués au Dépôt des fortifications par Goulier et de la Noë. Finalement, avec la mise au point du phototachéomètre, les opérations de terrain constituaient la partie la moins problématique du procédé de levé photographique employé par les Vallot, et l’effort méthodologique d’Henri se focalisa donc sur la restitution des clichés.

Notes
1055.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Deuxième note. Op. cit., p. 5.

1056.

VALLOT Charles. Un portrait du Mont-Blanc. Op. cit., p. 99.

1057.

VALLOT Henri, VALLOT Joseph. Deuxième note. Op. cit., p. 5.

1058.

Ibid., p. 5-6.