3.2.2.3. Un perfectionnement continuel.

La méconnaissance de la méthode des perspectives photographiques et son inadaptation initiale pour les ambitions topographiques des Vallot se traduisirent de façon révélatrice par une longue période de perfectionnement. Entre les premiers essais de 1893 et les derniers levés de 1923, la méthode utilisée ne cessa d’être modifiée pour répondre au perfectionnisme d’Henri Vallot et à l’évolution de l’exigence cartographique dans la représentation de la haute montagne. Elle ne fut fixée dans ses grandes lignes qu’en 1907, quelques quatorze ans après les premières opérations de terrain, avec la publication du manuel sur les Applications de la photographie aux levés topographiques en haute montagne 1064.

Elle connut cependant d’autres perfectionnements postérieurs, focalisés sur un emploi de plus en plus rigoureux pour la carte du massif du Mont Blanc. Charles Vallot écrivait ainsi en 1923 qu’ils avaient « assez récemment […] envisagé sous son jour définitif, dans sa forme et dans sa précision, la représentation des hautes régions et que, par voie de conséquence, [ils avaient] exigé du procédé photogrammétrique beaucoup plus qu’il ne lui avait été primitivement demandé »1065. Joseph Vallot s’était d’ailleurs opposé à cette recherche de précision plutôt que de rapidité qui avait retardé la réalisation de la carte, défendant l’idée d’« une carte par la photo, c’est-à-dire sans exactitude rigoureuse » et critiquant son cousin « de vouloir péter plus haut que [son] cul »1066 ! Mais Henri, puis après sa mort Charles, continuèrent de chercher une exploitation optimale des possibilités de la méthode graphique, ce qui permit à Emmanuel de Martonne de souligner le « travail énorme » qu’avait demandé aux Vallot le levé et la représentation du massif du Mont Blanc selon une méthode dont la mise au point elle-même avait demandé un investissement considérable1067.

Alors qu’Henri et Joseph Vallot avaient toujours justifié leur choix initial de la méthode des perspectives photographiques par des arguments rationnels de rapidité et de précision, la méthode Laussedat-Vallot n’atteignit une certaine efficacité que tardivement, après la laborieuse amélioration instrumentale et méthodologique effectuée par Henri Vallot. Parmi les raisons de son choix qu’avancèrent les Vallot, seule la rapidité d’exécution sur le terrain fut validée, mais seulement après plusieurs années de formalisation. Même si Henri Vallot tenta toujours d’accroître la précision de la restitution, les méthodes graphiques adoptées ne démontrèrent jamais définitivement leur supériorité ou même leur équivalence avec les méthodes traditionnelles d’intersection. Le développement de la méthode Laussedat-Vallot constitue ainsi un parfait exemple du modèle d’évolution, notamment décrit par David Edgerton1068, dans lequel une technique est adoptée pour des arguments soi-disant rationnels, mais non prouvés, et ne devient véritablement efficace que par des perfectionnements successifs liés à l’usage, qui finissent parfois par prouver a posteriori les arguments rationnels initialement avancés.

Notes
1064.

VALLOT Henri. Applications de la photographie. Op. cit.

1065.

VALLOT Charles. Quatrième note sur la carte au 20 000e du Massif du Mont Blanc. Revue Alpine, 1er trimestre 1923, 24, 1, p. 13.

1066.

Lettre de Joseph Vallot à Henri Vallot en 1920, cité par PELLETIER Monique. Photographie et méthodes de lever du relief. Op. cit., p. 148.

1067.

MARTONNE Emmanuel (de). Traité de géographie physique. T.2. [9e éd.] Op. cit., p. 508.

1068.

EDGERTON David. De l’innovation aux usages, dix thèses éclectiques sur l’histoire des techniques. Annales Histoire Sciences Sociales, juillet-octobre 1998, 53, n°4-5, p. 815-837.