3.2.3. Une utilisation limitée aux seules topographes-alpinistes.

Dans son activité de prosélytisme technique à l’intérieur de la Commission de topographie1070, Henri Vallot imposa sa méthode simplifiée de levé photographique, qui connut un développement rapide parmi les membres : certes, il donna à plusieurs occasions une vision déformée de la diffusion de cette méthode. En particulier, quand il affirmait en 1906 que, pour habiller son canevas géodésique, « le topographe alpiniste [disposait] des procédés photographiques, qui lui [étaient] familiers, qu’il [avait] constamment à sa disposition et auxquels il [avait] recours le plus volontiers, parce qu’il s’en [servait] aisément et presque sans dépense supplémentaire, ni éducation préalable »1071, Henri Vallot tenait plus du prédicateur transformant son désir en constat à des fins de propagande, que de l’observateur critique. Non seulement, une « éducation préalable » semblait plus que nécessaire au vu de la production passée et à venir d’Henri Vallot en matière de manuels et d’articles expliquant sa méthode, mais les applications concrètes ne se généralisèrent jamais dans les travaux des membres de la Commission.

Pour mesurer la diffusion des levés photographiques, j’ai effectué un comptage des travaux signalés dans les procès-verbaux de la première Commission de topographie (1903-1914), toutes régions confondues (tableau 15). Avant 1907 et la publication des Applications…, les membres avaient effectivement commencé à utiliser la méthode d’Henri Vallot dans neuf projets sur vingt-deux, soit environ 40,9 %, et prévoyaient seulement de le faire dans quatre autres projets, soit 18,2 %. Après 1907, dix-neuf entreprises en cours sur vingt-huit étaient exécutées avec cette méthode, soit 41,3 %. Même si dans la majorité de leurs travaux, les membres envisageaient d’exécuter des levés photographiques, la proportion de réalisation effective resta toujours à peu près égale à celle des travaux « classiques ». Le prosélytisme technique d’Henri Vallot dissimula remarquablement ce fait, appuyé en cela par la focalisation des instances dirigeantes du CAF et des spécialistes de la cartographie – mais pas de tous les alpinistes eux-mêmes – sur ce que j’ai appelé les « grands œuvres » de la Commission1072.

Tableau 15 : Utilisation de la méthode Laussedat-Vallot dans les travaux des membres de la Commission de topographie du CAF, entre 1903 et 1914*.
  1903-1907   1908-1914  
  Effectifs Pourc. Effectifs Pourc.
Pas d’utilisation de la photographie 9 40,9 % 18 39,1 %
Utilisation envisagée de la photographie 4 18,2 % 9 19,6 %
Utilisation effective de la photographie 9 40,9 % 19 41,3 %
Total 22 100 % 46 100 %
* La date de 1907 a été choisie parce qu’elle correspond à la publication du manuel d’Henri et Joseph Vallot sur les Applications de la photographie aux levés topographiques en haute montagne.

D’un point de vue qualitatif, à l’exception des descriptions des travaux des Vallot dans le massif du Mont Blanc, les références à l’utilisation de la photographie restaient très vagues avant 1907 : elles évoquaient des « stations photographiques » ou  des « tours d’horizon photographiques et à la règle à éclimètre », qui permettaient d’envisager des restitutions qui n’étaient pas toujours réalisées. Entre 1907 et 1911, les descriptions se firent beaucoup plus précises : la première occurrence du terme « restitution photographique » apparut dans le procès-verbal de la séance du 20 novembre 1908 à propos des travaux de Flusin dans le massif des Grandes Rousses, puis se retrouva dans les descriptions des travaux de Schrader, Heïd, Engelbach ou Perret. En même temps que la technique entrait véritablement dans l’usage, le vocabulaire se précisait et se fixait. Enfin, après 1911, les précisions se firent de moins en moins nombreuses, témoignant d’une familiarité plus grande avec la méthode qui ne justifiait plus de descriptions détaillées. Selon moi, ce n’est probablement pas une coïncidence si ce fut cette même année qu’Henri Vallot exposa enfin clairement les limites de sa méthode et la nécessité du complètement à la planchette : non seulement les membres disposaient enfin d’une connaissance technique et pratique qui permettait d’aborder ce sujet précis, mais surtout l’assise de la méthode était suffisamment assurée pour ne pas risquer d’en enrayer la diffusion.

A l’exception de cette pratique répandue au sein de la Commission de topographie du CAF et auprès de certains topographes proches de celle-ci comme Flusin, je n’ai trouvé aucun autre exemple d’utilisation de la méthode Laussedat-Vallot. Bien que certains auteurs, en particulier des membres du CAF, aient vu dans le développement des levés photographiques au SGA une influence de la Commission, la méthode Laussedat-Vallot prônée par celle-ci, qui restait dans ses deux variantes essentiellement artisanales, différait radicalement de la méthode stéréotopographique qu’adopta le SGA, basée sur une mécanisation de la restitution qui s’était développée à l’étranger.

Notes
1070.

Voir supra, partie 3, chapitre 1.2.

1071.

VALLOT Henri. La nouvelle carte de France au 50.000e. Op. cit., p. 228-229.

1072.

Voir supra, partie 3, chapitre 1.3.